Hiérarchies artistiques. Pratiques, discours, historiographies.
Appel à publication pour le n° 97 de la revue Histoire de l'Art (dir. Dominique de Font-Réaulx).
Quel que soit leur médium, les dynamiques hiérarchiques qui s’opèrent à la fois dans la production et dans la réception des artefacts et œuvres d’art ont, jusqu’à présent, été davantage étudiées sur le plan des discours que sur celui des pratiques. Celles-ci sont pourtant souvent antérieures et orientent, voire conditionnent parfois, l’élaboration de propos théoriques ou esthétiques. En historicisant les critères et cadres de valeurs appliqués aux objets, sans oublier la question du statut et des liens sociaux de leurs producteurs, ce numéro thématique de la revue Histoire de l’art porte à s’interroger, de manière diachronique, sur les hiérarchies artistiques en proposant une approche croisée des pratiques et des discours. Par ailleurs, la constitution de l’histoire de l’art comme discipline répond également à l’élaboration implicite de hiérarchies entre les médiums, les aires géographiques ou la chronologie des objets étudiés dans l’historiographie, ainsi que les approches méthodologiques mises en œuvre, qui changent pour répondre à de nouvelles dynamiques et à des questionnements sociétaux. Les propositions de contribution pourront s’inscrire dans les axes suivants, susceptibles de se recouper et qui ne sont pas limitatifs.
La fabrique de l’objet
La dimension collective de la production artistique implique des hiérarchies entre les différents acteurs des mondes de l’art. Les lieux mêmes d’exécution – l’atelier, le chantier – constituent des pôles clefs de l’élaboration de distinctions entre les intervenants impliqués et susceptibles d’ouvrir des concurrences entre les corps de métier. Ainsi les contours de l’invention d’un décor se répartissent-ils entre l’architecte et les artistes – peintres, sculpteurs, ornemanistes – chargés de son exécution, avec l’intervention également de non-praticiens, tels que des hommes de lettres ou le commanditaire, susceptibles d’agir sur la répartition des rôles, différente d’un cas à l’autre. Au-delà de la seule figure de l’auteur, ce sont tous les contributeurs à la fabrique de l’œuvre qui pourront être pris en compte. L’opposition entre invention et exécution relève d’une hiérarchie en soi, de même que la distinction entre arts libéraux et arts mécaniques ou celle entre production manuelle et production industrielle.
Matières et techniques
Les hiérarchies artistiques, d’ordre symbolique ou économique, peuvent également être analysées sous l’angle matériel et technique. Une même médaille frappée en or, en argent ou en bronze ne bénéficiait ainsi pas du même statut. L’usage de fils d’or et d’argent pour la trame d’une tapisserie permettait de distinguer l’importance d’un tissage par rapport à un autre. Dès l’époque médiévale, certains marchés et contrats de commande précisaient le type de matériaux que l’artiste devait employer, tel le lapis-lazuli. De même, l’utilisation de matières venues de loin, difficiles d’accès ou particulièrement coûteuses pouvait également être signifiante, tout comme les propriétés physiques qui avaient une incidence sur les possibilités plastiques. Au Bénin, les objets sculptés en ivoire étaient associés au pouvoir de l’oba, souverain du royaume. Par ailleurs, des hiérarchies pouvaient s’opérer au sein d’un même médium – l’eau-forte et le burin pour l’estampe, la fresque et l’huile pour la peinture. À l’époque contemporaine en particulier, l’appropriation de nouveaux matériaux et techniques, outre la réappropriation de processus anciens, a pu conduire à des inversions hiérarchiques.
L’artiste et son statut
Le statut social de l’artiste, renforcé par des titres, des gratifications ou des positions institutionnelles, voire par sa médiatisation pour l’époque contemporaine, porte à considérer son rôle dans l’analyse de la perception des objets produits. Le cadre juridique de l’exercice des métiers induit des différences entre les arts. Ainsi, les marchands-merciers ne pouvaient vendre que des objets assemblés et transformés à partir de réalisations d’autres artistes et artisans, ce qui ne les empêchait pas de bénéficier d’un statut particulièrement élevé et prestigieux, car ils n’étaient pas associés au travail manuel. Les émoluments et récompenses conduisent également à des formes de reconnaissance publique susceptibles d’agir sur les hiérarchies. Par ailleurs, les institutions artistiques constituent en soi des structures fortement hiérarchisées au sein desquelles les artistes se distinguent les uns des autres selon un contexte variant d’un pays à l’autre. Les moyens de protection des artistes par une personne, une institution ou un État peuvent également avoir un poids singulier. Enfin, le genre – homme, femme – constitue une distinction hiérarchique primordiale tant dans les pratiques artistiques que dans les discours théoriques.
Construction de discours hiérarchisés
Jusqu’à présent, les hiérarchies artistiques ont essentiellement été considérées à travers le prisme des discours, notamment certains textes canoniques, de la hiérarchie des sujets dressée dans la préface des Conférences de l’Académie royale de peinture et de sculpture (1668) par André Félibien aux manifestes artistiques contemporains, en passant par la critique d’art apparue au XVIIIe siècle. D’autres vecteurs d’une réception hiérarchisée des arts, tels les revues ou les discours politiques, sont également importants, de même que les essais esthétiques. Il est aussi pertinent d’aborder sous l’angle des hiérarchies l’histoire de l’art comme discipline scientifique et les outils méthodologiques mis en œuvre, variables selon les périodes ou les zones géographiques, mais aussi de l’intérêt porté à certains types d’objets, davantage étudiés et considérés que d’autres. Certains champs disciplinaires, telles les études visuelles ou matérielles, visent précisément à se situer au-delà de tout cadre hiérarchique, même si d’autres biais peuvent émerger.
Références, modèles, canons
La question des hiérarchies se pose également au regard de la géographie, notamment en termes de référents visuels et artistiques. Les concurrences entre la France et l’Italie sous le règne de Louis XIV ou entre Paris et New York dans la première moitié du XXe siècle constituent des exemples célèbres. À ces rivalités, il convient d’ajouter la configuration finalement beaucoup plus courante des relations asymétriques, en particulier du type centre-périphérie. De Raphaël à Jean-Michel Basquiat en passant par le miniaturiste persan Behzad, la construction de l’aura de certaines figures d’artistes a pu également constituer un repère clef. De même, certaines périodes chronologiques, telles l’Antiquité ou la Renaissance, ont été identifiées à un canon ayant une incidence sur les modes de perception. Par ailleurs, l’iconisation de certains objets – la Dame d’Elche, Les Ménines ou encore La Vague d’Hokusai – résulte d’un processus de hiérarchisation lié à des enjeux culturels, idéologiques ou politiques.
Muséologie, patrimoine, médiatisation
En raison de sa forte visibilité, la muséologie constitue un moteur essentiel de l’élaboration de hiérarchies artistiques. Les discours véhiculés dans les expositions et les modes de présentation des collections permanentes des musées ont une influence significative sur les échelles de valeurs et en sont le reflet. Le patrimoine, à travers les critères de protection ou la définition des enjeux de préservation, joue aussi un rôle crucial et l’histoire des saisies ou des destructions s’inscrit dans cette perspective d’appréhension. Àl’heure actuelle, les hiérarchies artistiques peuvent également être considérées sous l’angle de la médiatisation au sens large – les médias traditionnels, tels que la télévision, comme les réseaux sociaux. Le musée, comme institution, a joué et joue dans ce domaine un rôle essentiel – acteur, relais, voire suiveur.
Les propositions d’approches comparatives ou centrées sur les arts non occidentaux sont particulièrement bienvenues.
Le numéro 97 sera coordonné par Matthieu Lett (université Bourgogne-Europe) et Pierre Sérié (université Clermont-Auvergne). La revue a pour rédactrice en chef Dominique de Font-Réaulx (musée du Louvre).
Les synopsis, comprenant une présentation du sujet problématisé (1 page), une bibliographie sommaire sur le sujet et une biographie de l’auteur (500 signes), sont à adresser sous forme de fichier PDF unique par courriel à l’adresse revueredachistoiredelartgmail.com pour le 15 juin 2025 au plus tard.
Les propositions seront étudiées par le comité de rédaction.
Les projets retenus feront l’objet d’articles (30 000 signes) à remettre pour le 12 octobre 2025.
Quellennachweis:
CFP: Histoire de l'Art, no. 97: Hiérarchies artistiques. In: ArtHist.net, 07.04.2025. Letzter Zugriff 20.04.2025. <https://arthist.net/archive/47199>.