La thématique retenue pour la journée d’étude de la jeune équipe du Centre d’Histoire « Espaces et Cultures » (UCA) porte cette année sur les « Loisirs et plaisirs du corps de l’Antiquité à nos jours ». Cette thématique entend intégrer toutes les activités liées au délassement et à l’entretien corporels : moments de tendresse, plaisirs sexuels tarifés ou non, thermalisme, balnéation et crénothérapie, jeux ou encore activités physiques et sportives. Il s’agira de questionner la manière dont le corps a été perçu ou contenté. Les communications s'intéresseront également aux acteurs qui créent, entretiennent et régulent ces activités ainsi que leurs publics. Outre la sociabilité, il semble pertinent de s’interroger sur la temporalité et la spatialité dans lesquelles s’inscrivent ces loisirs et plaisirs.
Annonce
La journée d’étude de la jeune équipe du Centre d’Histoire « Espaces et Cultures » (CHEC) de l’Université Clermont Auvergne (UCA) a vocation à être un espace de recherche entre jeunes chercheurs. « Loisirs et plaisirs du corps » est la thématique retenue cette année. Cette journée d’étude se tiendra le 3 juin 2025 au pôle universitaire de Vichy (03).
Argumentaire
À propos de la pensée hédoniste d’Aristippe de Cyrène (-IVe s.) et de ses disciples, Diogène Laërce écrivait : « Le plaisir semble bon à tous les vivants, alors que la souffrance, ils estiment devoir la repousser. Par plaisir, toutefois, ils entendaient le plaisir du corps – qui est aussi pour eux la fin […] – et non le plaisir au repos qui dépend de la suppression des douleurs et se veut une espèce d’absence de trouble, plaisir admis par Epicure et que celui-ci donne comme fin » [1]. L’hédonisme (du grec hêdonê signifiant « plaisir ») se manifeste par l’affirmation vécue d'une évidence irrépressible : le plaisir est le bien suprême. Or celui-ci passe notamment par le rapport au corps, que ce soit par la tendresse, la sexualité, le fait d’avoir un corps en bonne santé ou encore la pratique d’exercices physiques.
L’objectif de cette journée d’étude est de questionner la notion de loisir et de plaisir dans leurs rapports au corps. Suivant la définition de l’otium romain, l’Académie Française présente le loisir comme le « temps dont on peut disposer à son gré sans manquer à ses obligations » [2]. Les travaux d’Alain Corbin ont contribué à affiner cette définition en englobant les occupations et activités non productives réalisées sur le temps libre et qui comportent une dimension éducative. Ainsi, lorsque le sport et le jeu deviennent des activités professionnelles, avec leurs impératifs, ils ne peuvent plus être considérés comme de simples loisirs. Une partie de la littérature scientifique dénie l’existence des loisirs avant la Révolution industrielle, considérant qu’il est difficile de définir un temps libre avant l’avènement d’un temps de travail clairement délimité. Avant le XIXe siècle, le temps du travailleur, qu’il soit paysan, ouvrier ou artisan, était poreux et ouvert aux interstices récréatifs. C’est pourquoi, il semble pertinent d’utiliser la notion de plaisir, cet « agrément que l’on trouve dans l’accomplissement de quelque chose » [3]. Expérience universelle et protéiforme, le plaisir se détache de tout cadre temporel restrictif, puisque dans l’éventail des stimuli qui procurent du plaisir se coudoient la caresse furtive et la longue relaxation au contact de l’eau chaude.
Il s’agit donc de mettre en exergue les pratiques de loisirs et les sources du plaisir à travers leur rapport au charnel et ce depuis l’Antiquité jusqu’à la période contemporaine. Si l’on pense immédiatement aux amusements sensuels et sexuels, le rapport au corps se manifeste aussi dans le soin, l’entretien et la détente de celui-ci. La pratique d’activités sportives peut également être source de plaisir par le dépassement de soi, la mise en compétition (agôn) et la recherche de sensations fortes (ilinx). Les systèmes de représentation (mentale, artistique, littéraire, médicale, philosophique, politique, religieuse) et leur historicité, de même que les débats et controverses qu’ils suscitent doivent également être questionnés. Ainsi, alors que toute une littérature religieuse et morale condamne les plaisirs, notamment charnels, un certain nombre de philosophes réfléchissent à leurs usages positifs, tandis que les médecins questionnent les mécanismes physiologiques à l’œuvre comme leur utilité dans la reproduction ou dans la guérison. En outre, les valeurs et représentations associées à telle ou telle activité donnent à voir un ordre social et un ordre de genre. La pratique de certaines activités manifeste et renforce les inégalités sociales, ainsi les villes d’eau demeurent majoritairement fréquentées par l’aristocratie et la bourgeoisie. En réaction, l'accès au loisir trouve sa place parmi les revendications prolétariennes (Lafargue). Les activités liées au corps sont également sexuellement discriminantes (pratique de certains sports interdite aux femmes), au point que, pour assouvir les plaisirs masculins, le corps de la femme est parfois devenu un bien économique, effaçant alors toute réciprocité du plaisir (prostitution). La praxis, dans son extrême diversité, peut être étudiée à nouveaux frais grâce aux apports à la fois de l’histoire des mentalités (Corbin) et de l’histoire des émotions (Rosenwein), mais également des gender studies. Les loisirs et plaisirs du corps sont investis par des valeurs et des normes (religieuses, morales, juridiques…) qui contribuent à redéfinir, tout au long de l’histoire, le rapport des individus aux usages, aux acteurs, aux temps et aux lieux.
Les contributions proposées pourront ainsi s’inscrire dans les axes suivants :
Formes, pratiques et représentations
Si le plaisir est universel, les formes et manifestations du plaisir sont, elles, arbitraires et témoignent de spécificités sociales, culturelles, historiques et psychologiques. En effet, « le langage du plaisir évolue selon les contextes » [4] et diffère selon les genres et les catégories sociales. Les représentations de ces loisirs, qu’elles soient imagées ou pensées, sont tout aussi multiformes et hétérogènes. Le premier axe a pour vocation d’interroger cette multiplicité et de rendre compte de la diversité dans l’expérience du plaisir corporel. Nous entendons intégrer à cette étude la pratique du loisir et la forme du plaisir – qu’il s’agisse du sport, du jeu ou encore de la chasse – mais également les témoignages des sensations qui en résultent. Cet axe doit également être l’occasion d’interroger la manière dont un même plaisir peut être perçu, selon les individus. Cette question des formes et des pratiques interroge également la manière dont on pense et on présente ces mêmes plaisirs corporels, chez les Anciens, dans la théologie ou dans l’art. Dans la même optique, la réflexion doit être portée sur l’accessibilité à ces loisirs, aux éventuels biais (religieux, culturels, cognitifs…), ainsi qu’au contrôle social qui peut s’exercer et donc modifier le ressenti du plaisir chez l’individu. Cet axe peut tout autant être l’occasion de réfléchir aux interdits du plaisir et aux éventuelles entraves. Certaines pratiques ne sont pas toujours acceptées moralement et peuvent conduire à la transgression.
Acteurs et publics
Ce deuxième axe doit permettre aux intervenants de s’intéresser aux acteurs politiques, économiques, sociaux ou médicaux qui participent à la création et/ou à la promotion d’activités. En outre, il s’agit de s’interroger sur la capacité d’adaptation de ces derniers et aux stratégies mises en place face aux contraintes politiques, sociales, économiques et/ou géographiques. L’étude des rivalités et des concurrences entre les acteurs peut aussi s’avérer féconde. Cet axe offre également la possibilité d’étudier la manière dont certains acteurs collectifs (associations, corporations, municipalités …) s’approprient ces activités d'entretien et de délassement corporels pour les développer et les pérenniser. Pensons par exemple aux villes d’eaux, comme Vichy ou Baden-Baden, qui ont perpétué et modernisé une activité thermale datant de l’Antiquité. La promotion et la publicité des pratiques et des espaces de loisir du corps doivent aussi être mises en exergue, tant celles-ci influencent les mentalités et reflètent parfois les goûts et les modes d’une époque. Une réflexion doit également être portée sur les institutions qui encadrent ces loisirs et plaisirs corporels, dans la mesure où « […] la pratique des loisirs ne constitue absolument pas une activité anodine, mais [elle] représente un enjeu important pour les forces religieuses, politiques et sociales à toutes les époques » [7]. Il s’agit ici de s’intéresser aux autorités qui, influencées par les discours religieux ou médicaux, encouragent ou au contraire encadrent, voire interdisent, certaines pratiques. S’intéresser aux loisirs et aux plaisirs implique nécessairement de se questionner sur les individus qui s’abandonnent à ces délassements. Nous entendons ici redonner davantage de place à l’individu : qui est-il ? Comment se comporte-t-il ? comment conçoit-il le « souci de soi » [6] intrinsèquement lié à la question de loisir et de plaisir ? Au-delà de l’individu, le public doit aussi être considéré dans sa dimension collective et sociale. Emergent alors de nouvelles problématiques, pouvant tout autant toucher à la manière dont le plaisir est perçu et représenté lorsqu’il est partagé, qu’à la création d’un sentiment d’appartenance. Cet axe peut donc être, pour les communicants, l’occasion de s’intéresser à la fonction sociale du loisir.
Lieux et temporalité
Au-delà des pratiques et des représentations, les loisirs et plaisirs du corps s’inscrivent dans un contexte chronologique et spatial. La question de la temporalité est centrale lorsqu’il s’agit des loisirs et des plaisirs, puisque le temps libre durant lequel on prend soin de son corps n’existe qu’en opposition au temps du labeur. Il convient donc de s’interroger sur l’organisation de ce temps pour soi : Quand se divertit-on ? Combien de temps y consacre-t-on ? Dans quelle mesure l’appartenance à une catégorie sociale impacte-t-elle le temps accordé aux loisirs ? Comment la mutation profonde du cadre temporel au XIXe siècle, introduisant une circonscription du temps de travail et du temps de repos, impacte-t-elle la pratique des loisirs et des plaisirs du corps ? La réflexion peut être portée sur l’opposition qui se met en place entre ruraux et urbains, avec d’un côté des paysans dont l’emploi du temps, organisé autour des rythmes saisonniers et du calendrier liturgique, conserve une certaine élasticité et de l’autre des ouvriers qui connaissent une démarcation de plus en plus nette entre temps du labeur et temps libre. De même, des oppositions sociales peuvent également être étudiées sur le temps long (patriciens/plébéiens, nobles/bourgeois…). Ce troisième axe doit également être l’occasion de réfléchir aux lieux où se pratiquent les loisirs et les plaisirs du corps, entre espace privé et espace public. Il s’agit, par exemple, de questionner l’influence du milieu géographique sur l’implantation des activités et, à l’inverse, l’impact de celles-ci sur son site d’installation (contribuant à la définition de l’identité d’un lieu). De même, la saisonnalité peut influencer les lieux et les pratiques des loisirs. Les communicants peuvent aussi questionner l’évolution des systèmes de représentations et leur impact sur les aménagements destinés aux soins du corps. Une inversion des valeurs touche ainsi la mer et la montagne, espaces autrefois honnis qui deviennent des refuges à l’heure de l’industrialisation des villes [5]. Enfin, cet axe invite à s’interroger sur l’évolution des pratiques dans le temps et l’espace en intégrant les phases qu’elles peuvent traverser depuis leur création jusqu’à leur éventuelle disparition, en passant par leur démocratisation et leurs adaptations face à des influences qui viennent du haut (usages aristocratiques et bourgeois) comme du bas de la société (pratiques populaires). Il s’agira aussi d’observer la circulation des comportements, pensons par exemple aux influences orientales, et l’accélération de leur diffusion dans le cadre de la mondialisation.
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[1] DIOGÈNE LAËRCE, Βίοι καὶ γνῶμαι τῶν ἐν φιλοσοφίᾳ εὐδοκιμησάντων, Livre II, VIII, 87. Pour la traduction, voir GOULET-CAZÉ Marie-Odile (dir.), Vies et doctrines des philosophes illustres, Paris, La Pochothèque, 1999 (2e éd.), p. 292-293.
[2] « Loisir », dans Dictionnaire de l'Académie française (9e éd.), Tome II, Paris, Imprimerie nationale/Fayard, 2000.
[3] « Plaisir », dans Dictionnaire de l'Académie française (9e éd.), Tome III, Paris, Imprimerie nationale/Fayard, 2011.
[4] BUDNIK Clarisse, CAIRE Audrey, COUSIN Laura, LAROCHE Loïc, et RICHAUD Jean‑David, « Plaisirs, discours et normes sociales : les plaisirs, un objet d’histoire ? », Hypothèses, 2018/1 n°21. p. 15-25.
[5] CORBIN Alain, « Temps des loisirs, espaces de la ville », Histoire urbaine, 2000/1 n° 1, p.163-168.
[6] PIRE Jean-Miguel, L’Otium du peuple. À la reconquête du temps libre, Auxerre, Éditions Sciences Humaines, 2023, p. 32
[7] BECK Robert et MADOEUF Anna, Divertissements et loisirs dans les sociétés urbaines à l’époque moderne et contemporaine, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2005, p. 15
Modalités de soumission
Nous sollicitons des communications de 20 minutes proposées par de jeunes chercheurs (doctorants, jeunes docteurs ou masterants de 2ème année). Les propositions d’interventions (300-500 mots), accompagnées d’un CV scientifique d’une page maximum, doivent être adressées au comité d’organisation, avant le 7 mars 2025, à l’adresse suivante : jeuneschercheursduCHECgmail.com
Cette journée d'étude aura lieu le 3 juin 2025 au pôle universitaire de Vichy (03).
Elle devrait déboucher sur une publication dans la revue Siècle.
Le logement et les transports des communicants seront défrayés.
Comité d’organisation
- CHEMINAT Cyprien – Doctorant en histoire contemporaine (UCA-CHEC)
- GIRAUD Jade – Doctorante en archéologie romaine (UCA–CHEC)
Comité scientifique
- FOURNIER Patrick – Maître de conférences en histoire moderne (UCA-CHEC)
- FRANCESCHELLI Carlotta – Maîtresse de conférences en histoire et archéologie romaine (UCA-CHEC)
- GAUCHER Julie – Docteure en littérature française (UCA-CELIS)
- PEROL Céline – Maîtresse de conférences en histoire médiévale - HDR (UCA-CHEC)
- PICOT Johan – Docteur en histoire médiévale (UBM-Ausonius)
Bibliographie indicative
ANDRÉ Jean-Marie, « Recherche sur l’otium romain », Annales littéraires de l’Université de Besançon, 1962, n°52.
BECK Robert et MADOEUF Anna, Divertissements et loisirs dans les sociétés urbaines à l’époque moderne et contemporaine, Tours, Presses universitaires François Rabelais, 2005.
BOISSEUIL Didier, Le Thermalisme en Toscane à la fin du Moyen Âge, Rome, Publications de l’École française de Rome, 2002.
BOISSEUIL Didier et NICOUD Marilyn (éd.), Séjourner au bain : Le thermalisme entre médecine et société (XIVe-XVIe siècle), Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2010.
BOULÈGUE Laurence, et LÉVY Carlos (éds.). Hédonismes. Penser et dire le plaisir dans l'Antiquité et à la Renaissance, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2007.
BUDNIK Clarisse, CAIRE Audrey, COUSIN Laura, LAROCHE Loïc, et RICHAUD Jean David, « Plaisirs, discours et normes sociales : les plaisirs, un objet d’histoire ? », Hypothèses, 2018/1, n°21. p. 15-25.
CORBIN Alain, COURTINE Jean-Jacques et VIGARELLO Georges (dir.), Histoire du corps, 3 tomes, Paris, Editions du Seuil, 2005-2006.
CORBIN Alain (dir.), L’avènement des loisirs (1850-1960), Paris, Flammarion, 2020.
CORBIN Alain, L’harmonie des plaisirs. Les manières de jouir du siècle des Lumières à l’avènement de la sexologie,Paris, Flammarion, 2022.
FARGUE Eva, Du sacré au plaisir : sexualité des femmes & religions, Paris, Edilivre, 2020.
FEREROL Marie-Eve, « Luxure, calme et volupté dans les villes d’eaux françaises à l’âge d’or du thermalisme (Belle Époque et Années Folles) », Via [En ligne], n°11-12, 2017.
FLANDRIN Jean-Louis, Le Sexe et l’Occident, Paris, Points, 1986.
GALAND-HALLYN Perrine, LEVY Carlos et VERBAAL Wim (dir.), Le plaisir dans l'Antiquité et à la Renaissance, Turnhout, Brepols Publishers, 2008.
GAUCHER Julie, De la « femme de sport » à la sportive. Une anthologie, Le Crest, Editions du Volcan, 2019.
LE GOFF Jacques et TRUONG Nicolas, Une histoire du corps au Moyen Âge, Paris, Éditions Liana Levi, 2003
MERDRIGNAC Bernard, Le sport au Moyen Âge, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2002.
PLUMAUZILLE Clyde, Prostitution et Révolution : les femmes publiques dans la cité républicaine (1789-1804), Ceyzérieu, Champ Vallon, 2016.
ROSENWEIN Barbara H., Emotional Communities in the Early Middle Ages, Ithaca / New-York / Londres, Cornell University Press, 2006.
ROSSIAUD Jacques, Amours vénales : la prostitution en Occident, XIIe-XVIe siècle, Paris, Aubier, 2010.
SCHEID John, NICOUD Marilyn, BOISSEUIL Didier et COSTE Joël (dir.), Le thermalisme, approches historiques et archéologiques d'un phénomène culturel et médical, Paris, CNRS Éditions, 2015.
TURCOT Laurent, Sports et Loisirs. Une histoire des origines à nos jours, Paris, Gallimard, 2016.
VASSET Sophie et ZANETTI François, Médecine des eaux, 1550-1850, dossier d’Histoire, médecine et santé, n° 24, hiver 2023.
VIGARELLO Georges, Le Sentiment de soi. Histoire de la perception du corps, Paris, Editions du Seuil, 2014.
Les loisirs et la ville : espaces, institutions, pratiques, dossier d’Histoire urbaine, vol. 1, n°1, 2000.
Quellennachweis:
CFP: Loisirs et Plaisirs du Corps de l'Antiquité à nos Jours (Vichy, 3 Jun 25). In: ArtHist.net, 18.02.2025. Letzter Zugriff 21.02.2025. <https://arthist.net/archive/43985>.