CFP 19.12.2024

Le portrait : théories, formes, enjeux (Montréal, 16 May 25)

Université du Québec à Montréal, 16.05.2025
Eingabeschluss : 14.02.2025

Marie-Lise Poirier & Marjorie Charbonneau

Please note that this event will be held in French.

Le portrait est avant tout «l’histoire d’une rencontre [1]», d’un face-à-face créateur de sens et d’émotions. C’est de cette idée qu’est née l’organisation d’un colloque autour de cette thématique singulière qu’est le portrait. L’objectif étant de réfléchir collectivement à sa définition et aux questions soulevées par son corpus aux origines séculaires dans une perspective transhistorique, transdisciplinaire et transmédiale, il s’agira en outre d’analyser les nombreuses théories et formes de la pratique portraitiste et d’en mesurer les enjeux épistémologiques, esthétiques, sociaux, politiques et médiatiques sur le temps long, sans contrainte temporelle ou géographique.

Argumentaire

«PORTRAIT. Image, ressemblance d’une personne, par le moyen du pinceau, du burin, du crayon, etc. [2]» L’édition princeps du Dictionnaire (1694) de l’Académie française définit ainsi ce substantif, entré dans l’usage depuis près de vingt ans, comme en témoigne les Principes (1676) d’André Félibien [3]. Genre autonome depuis le XVIe siècle, mais déprécié parce que se situant au second rang de la hiérarchie des genres fixée par Félibien au XVIIe siècle [4], le portrait établit un rapport spéculaire entre le modèle et son image grâce à une rigoureuse étude d’après nature. Cette démarche, du reste cohérente avec l’une des fonctions du portrait, à savoir la reconnaissance du modèle, s’oppose à une autre, qui autorise le recours à l’artifice de l’idéalisation. Roger de Piles, pour qui il existe un juste équilibre entre réel et idéal – entre rittrare et imitare –, affirme qu’il est de bon aloi de dissimuler ou gommer les défauts, tant que l’opération reste discrète et qu’elle ne nuise pas à l’identification[5].

En même temps que s’accroît la production de portraits se développe une littérature qui doit servir à codifier et à représenter les passions de l’âme. La conférence de Charles Le Brun sur le sujet obtient un tel succès que son manuscrit est publié à titre posthume dans une édition illustrée (1698)[6]. L’influence de ce texte aux allures de doctrine picturale se constate chez des peintres comme Charles-Antoine Coypel et Jean-Baptiste Greuze, qui intègrent les têtes d’expression de Le Brun dans leurs tableaux [7]. Des pseudosciences comme la physiognomonie et la phrénologie – des théories admettant qu’il est possible de connaître le caractère intime d’un individu par l’étude de sa conformation physique – opèrent également un véritable ascendant sur les artistes et les écrivain·es, et ce, jusqu’au XIXe siècle. D’autres publications, à l’instar des Dissertations (1791) de Petrus Camper [8], annoncent les théories de l’évolution qui pulluleront plus tard et abordent de front la question raciale en procédant à la classification et à la hiérarchisation de l’humanité [9]. Les théories du portrait ne s’expriment cependant pas qu’à travers les discours et les gravures des traités savants ou par le biais de la critique d’art, laquelle prendra véritablement son essor au XIXe siècle. Elles s’immiscent en effet jusque dans les plus «modestes documents» de l’histoire, des sources glanées en dehors des circuits officiels des savoirs et qui commentent la pratique portraitiste [10]. Les écrits du for privé (carnets de notes et d’esquisses, correspondance, récits de voyages, journaux intimes, mémoires, etc.) des agents producteurs et consommateurs du portrait figurent en tête de ces documents souvent négligés.

«La portraiture est une maladie de notre époque [11]» a un jour écrit le critique Benoist de Matougues, irrité par la surabondance numérique du portrait au Salon de 1838. Cette vague déferlante de portraits est rarement commentée sous un jour favorable, ce phénomène étant attribué, d’une part, à la montée en puissance de la bourgeoisie dont les goûts vulgaires ne sauraient faire apprécier la grande peinture d’histoire et, d’autre part, au dépérissement culturel du Salon qui, selon certains, prend progressivement des allures de bazar [12]. Ainsi, à mi-chemin entre les espaces privé et public, le portrait relève d’une logique commerciale de plus en plus assumée, laquelle entrave la mise en valeur de la grande peinture d’histoire qui est censée, par des sujets historiques, bibliques ou mythologiques, nourrir l’intellect et servir d’exemple moral. Matougues était sans doute loin de se douter que le portrait allait atteindre une portée plus grande encore par la suite, saturant à la fois l’œil et l’esprit. Si Félibien limite l’usage du mot portrait à la seule peinture [13], il ne s’y est jamais limité : les portraits sculptés sont par exemple légion au Salon. Le dernier quart du XIXe siècle voit naître les néologismes bustomanie et statuomanie, lesquels condensent tout le mépris d’une époque pour le portrait sculpté. En buste ou en pied, exposée au Salon ou érigée sur la place publique, la statuaire figurative est dès lors critiquée pour des raisons esthétiques et idéologiques [14]. Les portraits gravés et lithographiés, moins chers que leurs pendants peints et sculptés, ravissent les consommateurs qui les trouvent en feuilles volantes chez les marchands d’estampes, dans les pages de leurs périodiques favoris et en frontispice d’ouvrages monographiques, comme la biographie. Émergent à la cour au milieu du XVIIe siècle, le portrait littéraire amuse plus que jamais un public friand d’anecdotes sur la vie des personnalités artistiques, littéraires et politiques les plus en vue. La portraitomanie s’ajoute ainsi à la liste des afflictions psychologiques causées par la consommation excessive de portraits [15].

Jadis réservé à la représentation figurative de l’élite sociale, le portrait s’est lentement démocratisé au gré des révolutions et des percées technologiques et matérielles. La photographie, le cinéma, la performance, les arts numériques et les réseaux sociaux ont tour à tour bouleversé les codes et les canons d’un genre qu’il est urgent de redéfinir. Que l’on pense au Portrait de Mademoiselle Chanel (1923) de Marie Laurencin, aux Nine Polaroid Photographs of a Mirror (1967) de William Anastasi, au Sir John Edward Sulton (2001) de Marc Quinn ou au Marie-Antoinette Reheaded as a Geisha. Self-portrait (2009) de Kimiko Yoshida, force est d’admettre que le portrait s’exprime sous différentes formes, inspirées et nourries de préoccupations tant artistiques que conceptuelles. Le spectre des possibles du portrait n’est pas non plus réduit à la représentation d’un sujet humain. Gredinet, Petite Fille et Charlotte, trois épagneuls de Louis XV (1727), The Lion at Home (1881) et Abélard et Héloïse (c.1900-1915), peints par Jean-Baptiste Oudry, Rosa Bonheur et Gabriel von Max, prouvent que les animaux sont des êtres sensibles dotés d’une individualité propre qui méritent la même attention dans leur incarnation picturale que tout sujet humain. Émile Zola apporte le même soin à la description des animaux dans ses romans, les hissant au rang de personnages. Les plus belles pages de Germinal sont consacrées à Bataille, un vieux cheval descendu de force dans la mine du Voreux qui y mourra avec une rage de vivre bouleversante. Enfin, le portrait peut aussi être celui d’une nation. De fait, l’identité d’un pays est intrinsèquement liée à son territoire, d’où l’importance de le représenter sous de multiples formes, à commencer par le paysage, la carte et la vue topographique. À l’aune de ces quelques exemples, il convient de considérer le portrait comme un dispositif médiatique de représentation. Cette définition élargie rejoint celle trouvée dans les dictionnaires du XVIe siècle où le verbe portraire est utilisé comme synonyme des verbes tracer et dessiner. Le substantif portrait y conserve cet usage très général «de tracé et figure de géométrie, de forme, de figure, plan et disposition, de plan et projet, d’image et représentation, d’image comme ressemblance [16]».

Les propositions de communication prendront la forme d’études de cas transversales ou monographiques et pourront s’inscrire dans l’une ou l’autre des catégories suivantes, sans toutefois s’y limiter :

Définir le portrait
• Fonctions et usages du portrait;
• Typologie du portrait (portrait de cour, portrait de groupe, portrait de famille, portrait historié, caricature et portrait-charge, autoportrait, selfie, carte de visite, portrait littéraire, biographie, hagiographie, panégyrique, éloge, oraison funèbre, nécrologie, moulage posthume, masque mortuaire, relique, sépulture…);
• Modes d’expression du portrait (peinture, sculpture, gravure, lithographie, photographie, architecture, sculpture, miniature, bijou en cheveux, tempera, enluminure, vitrail, arts graphiques, numismatique, roman, théâtre, poésie…);
• Présence et absence dans le portrait;
• Figuration et abstraction dans le portrait;
• Portrait, entre le texte et l’image.

Créer le portrait : de la théorie à la pratique
• Le portrait dans les traités de peinture, de sculpture et d’architecture;
• Sciences et pseudosciences (portrait médical, phrénologie, physiognomonie);
• Le beau, l’idéal, le laid, le grotesque, le réel et la fiction dans le portrait;
• Représenter les passions et les émotions;
• Le corps, le regard et le geste dans le portrait;
• Matériaux du portrait (pigments, pierre, marbre, ivoire, bronze, bois, papier, plume…);
• Matérialité/immatérialité du portrait.

Représenter la société
• Identité (individuelle, communautaire, nationale…);
• Anonymat dans le portrait;
• Portrait et genre;
• Portrait et récit de voyage (l’Autre et soi);
• Portrait et révolution;
• Portrait et pouvoir;
• Portrait et territoire (cartographie, topographie, paysage);
• Portrait, colonialisme et impérialisme;
• Portrait et religions (christianisme, protestantisme, judaïsme, bouddhisme…);
• Portrait et mode;
• Portrait et réseaux sociaux.

Rencontrer le portrait : lieux et réseaux
• Les agents producteurs du portrait;
• Les publics du portrait;
• L’artiste et son modèle;
• Le portrait dans l’espace public et dans l’intimité;
• Réception et circulation du portrait;
• Collectionner et exposer le portrait.

Modalités de participation

Cet appel est ouvert aux étudiant·es des cycles supérieurs (maîtrise et doctorat), aux postdoctorant·es et aux jeunes chercheur·es dont les travaux en arts et en sciences humaines et sociales ont quelques affinités avec la thématique du portrait, toutes périodes et aires géographiques confondues. Les interventions, qui ne devront pas dépasser vingt minutes, seront suivies d’une courte période de questions.

Pour participer, remplissez ce formulaire (https://forms.gle/Rs5fKuomK7dm8jmG7) avant le vendredi 14 février 2025. Le colloque aura lieu à l’Université du Québec à Montréal (local à venir), le vendredi 16 mai 2025. N’hésitez pas à nous écrire à l’adresse colloque.hargmail.com pour toute question ou pour tout commentaire concernant l’évènement ou cet appel.

Dans l’espoir de vous y retrouver en grand nombre,

Les organisatrices,

Marie-Lise Poirier, UQAM
Marjorie Charbonneau, UQAM

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[1] Pascale Dubus (2006), Qu’est-ce qu’un portrait ?, Paris, L’Insolite, p. 75.
[2] Académie française (1694), « Portrait », Dictionnaire de l’Académie françoise, Paris, J. B. Coignard, tome 2 : M-Z, p. 586.
[3] André Félibien (1676), Des principes de l’architecture, de la sculpture, de la peinture, et des autres arts qui en dépendent, avec un dictionnaire des termes propres à chacun de ces arts, Paris, Jean-Baptiste Coignard, p. 707.
[4] Id. (1668), Conférences de l’Académie royale de peinture et de sculpture, pendant l’année 1667, Paris, Frédéric Léonard, n. p.
[5] Roger de Piles (1708), Cours de peinture par principes, Paris, Jacques Estienne, p. 269-270.
[6] Charles Le Brun (1698), Sur l’expression generale & particuliere, Amsterdam, Paris, J. L. De Lorme, E. Picart.
[7] Lucie Desjardins (2001), Le corps parlant. Savoirs et représentation des passions au XVIIe siècle, Sainte-Foy, Paris, Les Presses de l’Université Laval, L’Harmattan, p. 192.
[8] Petrus Camper (1791), Dissertation sur les variétés naturelles qui caractérisent la physionomie des hommes des divers climats et des différents âges, suivie de Réflexions sur la Beauté; particulièrement sur celle de la tête; avec une Manière nouvelle de dessiner toute sorte de têtes avec la plus grande exactitude, Paris, La Haye, H. J. Jansen, J. Van Cleef.
[9] Anne Lafont (2019), L’art et la race : l’Africain (tout) contre l’œil des Lumières. Dijon, Les Presses du Réel, p. 10-11.
[10] Édouard Pommier (1998), Théories du portraits. De la Renaissance aux Lumières, Paris, Gallimard, p. 13, 15.
[11] Benoist de Matougues (1838), « Au Salon de 1838 », Le Lithographe : journal des artistes et des imprimeurs (Paris), tome 1, p. 277.
[12] Sean DeLouche (2014), Face Value. The Reproductible Portrait in France, 1830-1848, Thèse de doctorat, Columbus, The Ohio State University, p. 44, 50.
[13] André Félibien (1676), op. cit., p. 707.
[14] Jacqueline Lalouette (2018), Un peuple de statues. La célébration sculptée des grands hommes (France, 1801-2018), Paris, Mare & Martin, p. 22-23.
[15] Hélène Dufour (1997), Portraits en phrases. Les recueils de portraits littéraires au XIXe siècle, Paris, PUF, p. 4.
[16] Édouard Pommier (1998), op. cit., p. 15.

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Orientations bibliographiques

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URL de référence : https://docinterhar.ca/fr/2024/12/16/appel-a-communications-le-portrait-theories-formes-enjeux/

Quellennachweis:
CFP: Le portrait : théories, formes, enjeux (Montréal, 16 May 25). In: ArtHist.net, 19.12.2024. Letzter Zugriff 03.01.2025. <https://arthist.net/archive/43580>.

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