REV-CONF 04.03.2004

Le portrait individuel

Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris, 06.–07.02.2004

Bericht von Florence Chantoury, Université de Montréal
Redaktion: Godehard Janzing

Le portrait individuel : réflexions autour d'une forme de représentation du XIIIe au XVe siècle

Le 6 et 7 février dernier, se tenait à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, un colloque intitulé " Le portrait individuel : réflexions autour d'une forme de représentation du XIIIe au XVe siècle "[1]. Son titre général indique bien le sens que l'organisateur de cet événement, Dominic Olariu, lui a conféré, à savoir la problématique de la ressemblance dans une période généralement dégagée de cette question. On a trop tendance aujourd'hui à confiner l'émergence du portrait individuel dans une période ultérieure au Moyen Age, dans le moment décisif de la Renaissance.

Afin de mieux identifier le moment et les conditions historiques de l'émergence du portrait individuel, les intervenants ont développé des thématiques ancrées dans les arts visuels et la littérature de la période médiévale. En vue de remettre en cause l'ancien paradigme et aider du même coup à en constituer un nouveau, le contenu de la première journée a été consacré à la problématique de la ressemblance à travers le champ religieux, alors que les intervenants de la seconde journée ont plutôt questionné la notion dans sa dimension avant d'achever le débat sur le portrait flamand. L'organisateur, en choisissant de privilégier la confrontation de pensée entre étudiants et professeurs a donné une dimension captivante au colloque, par l'échange enrichissant qui s'y est produit.

Jean-Claude Schmitt a abordé les obstacles à la propagation du portrait individuel à travers l'interdit théologique relié à ce genre pictural, notamment en revenant sur les notions d'imago et de similitudo. En rappelant le statut de l'image médiévale, il a souligné que la relation du portrait au spectateur est de l'ordre de l'apparition plutôt que de l'ordre de la ressemblance. En jetant les bases d'un tel constat, il laissait ouverte la voie à différentes conditions de possibilité de ce type de portrait.

Remettant en question la définition traditionnelle du portrait de John Pope-Hennessy Dominic Olariu, ouvrait le débat sur une possible émergence du portrait au XIIIe siècle, il précise, non plus en tant que figuration du caractère d'un individu mais plutôt comme élément de ressemblance avec la divinité [2]. Le processus d'individualisation est ainsi abordé par l'intermédiaire de la figure de saint François d'Assises, appelé l'image parfaite du Christ et par la pratique des embaumements. Dominic Olariu argumente son hypothèse en indiquant que l'effet de l'âme se manifeste dans le corps, le portrait alors, devient la manifestation du degré d'aboutissement spirituel du personnage portraituré.

Agostino Paravicini Bagliani revient, quant à lui, sur un moment innovateur dans l'histoire du portrait au moyen des différents portraits du pape Boniface VIII, considéré comme l'une des premiers dignitaires à avoir eu un véritable intérêt pour la singularisation et la perpétuation de la mémoire. Mr Paravicini Bagliani a démontré comment le pape a produit des ruptures face à ses prédécesseurs, notamment lorsqu'il participe à l'élaboration de son tombeau funéraire de son vivant.

La fécondité de ce colloque a d'ailleurs résidé dans la diversité des médiums étudiés. Beate Fricke a abordé la question de la singularité du modèle dans le portrait, en observant la constitution d'un nouveau type de reliquaires, les bustes reliquaires à visage féminin, tel celui de Sainte Foy de Conques. Portant un intérêt plus particulier à des bustes reliquaires contenant le crâne d'un personnage sacré, elle étudie la question de la proximité du portrait et son statut lorsqu'il est lié à la seule trace restante du visage après la mort. Plus réservé quant à la possibilité de l'essor du portrait individualisé, Eberhard König analyse les divers statuts de celui-ci à travers l'enluminure médiévale. Albert Châtelet a fait référence aux portraits de substitution et aux effigies de cire que l'on transportait en pèlerinage.

Les modalités du portrait individuel dans la littérature ont été également abordées à travers l'oeuvre de Dante. Gerhard Wolf a proposé de comprendre le statut du portrait chez Dante comme l'articulation d'une iconicité du texte et d'une métaphore de l'image, par là, il observe la conception précoce du débat fort prisé à la Renaissance sur le Paragone, la question de la supériorité de la peinture sur la poésie.

Plus nuancé quant à l'énoncé de cette origine précoce du portrait individuel, Hans Belting débute son intervention en indiquant que les images dont la présence soutenue de donateurs comme la Vierge à l'Enfant avec le chanoine Van der Paele de Van Eyck ou encore la Vierge et le chancelier Rolin du même peintre ne peuvent être entendus comme portraits mais il précise qu'ils se servent de cette fonction de portrait. Belting indique qu'il faut penser le portrait dans le rapport qu'il entretient avec le blason, qu'il considère comme le visage dynastique du personnage et donc son portrait collectif, alors que le portrait individuel en est la représentation personnelle. Il ajoute que le portrait autonome s'est produit dans un conflit social : le portrait bourgeois est aussi une critique de la noblesse. Toute la difficulté de la conception du portrait individuel a paru dans la présentation d'Hans Belting, moment fort du colloque puisque l'historien de l'art allemand a su souligner avec force le déplacement progressif vers une autonomie de la représentation de l'individu. Autant de postulats qui ont suscité un riche débat.

Appuyant ses propos par de nombreuses images projetées, Enrico Castelnuovo nous a montré qu'il adhère sans détour à cette apparition du portrait autonome pour l'époque médiéval. En observant que contrairement aux dires de Vasari, le portrait individualisé n'est pas survenu avec Giotto mais qu'il n'a pas cessé d'exister, Castelnuovo entend dépasser cette conception qui fait de Giotto le père du portrait moderne. Il pose la question de savoir plutôt s'il s'agit de reconnaissance ou d'individualité dans le portrait, question qui renvoie à la problématique de la dispositio du sujet. Scrutant de manière très détaillée les caractères physiques dans les portraits, Castelnuovo s'arrête sur une série de six visages masculins insérés dans des tondi, au dessus de la scène du Banquet d'Hérode dans la chapelle Peruzzi, à l'église Santa Croce de Florence. Il conçoit l'émergence du portrait individuel dans les portraits de donateurs dont il nous donne un second exemple à travers les différents portraits connus d'Enrico Scrovegni. Ce retour sur l'image a dénoué une autre interrogation de Castelnuovo portant sur la position de Giotto dans cette question du portrait individualisé.

Partant de l'étude de la tradition iconographique des portraits de Boccace dans l'oeuvre même de l'auteur du Décameron, Anika Disse nous a démontré de manière très convaincante comment la notion de portrait d'auteur est davantage pertinente pour qualifier les portraits de l'écrivain plutôt que de parler de portrait individualisé. Avec la notion de " ressemblance fictive ", elle renverse le principe même des études qui caractérisent la question de la ressemblance qui, généralement, utilisent une description littéraire d'un personnage afin de rechercher une reconnaissance des traits d'un individu dans l'image, tout cela dans une volonté d'adéquation au réel. Anika Disse part de l'image, elle a su nous montrer que les caractéristiques des portraits picturaux de Boccace se définissent aussi par une indépendance vis-à-vis du texte.

A travers le mythe de Narcisse, Danièle Cohn a posé la question de savoir qu'est-ce qu'une identité figurale puisqu'il s'agit plutôt de voir quel rôle joue le portrait dans le processus d'individualisation, dans cette prise d'identité. De cette manière, elle déplace la question du portrait individuel et porte son interrogation sur le fait de savoir si la construction de l'idée de portrait individuel permet d'élaborer l'idée de l'individuel. Par là, elle souligne le danger de la conception triviale qui considère que l'image fomente la création de l'identité. Selon Danièle Cohn, il ne faut pas comprendre la ressemblance dans le portrait en tant qu'isomorphisme mais comme quelque chose de qualitatif, une ressemblance plutôt morphologique, ce qu'elle définir par le " type biographique ". Le portrait s'entend alors comme une forme sensible, un genre par laquelle une morphé est déposée dans une autre morphé par l'intermédiaire du portrait figural.

D'un point de vue artistique, Paul T. Werner s'est penché sur des dessins de Durer, plus particulièrement sur celui d'une figure féminine africaine, Katerina l'Africaine. A travers son analyse, il a fait surgir les difficultés que soulève une technique occidentale du dessin et de la couleur lorsqu'il s'agit de réaliser le portrait d'une Africaine. La disparition des traits lorsque le dessinateur choisit de privilégier la couleur noire du visage, l'impossibilité de se servir des ombres dans ce cas .. , tous ces exemples rencontrés par Durer vont laisser place à un compromis paradoxal, le recours presque obligatoire aux stéréotypes attachés à la figure de l'Africain. Norbert Schneider et Gregor Wedekind ont abordé le portrait individuel flamand à travers l'oeuvre de Van Eyck, le portrait des époux Arnolfini a fait l'objet d'un intérêt particulier dans la présentation de Gregor Wedekind.

Ces débats ont eu le mérite de mettre en évidence l'importance que la problématique de la ressemblance a tenu au sein des ouvres d'art et cela, quelque soit le médium employé. On peut toutefois regretter que la question des effigies de cire n'ait été qu'effleurée et que la pensée novatrice d'Aby Warburg en ce qui a trait aux boti, ces effigies de cire suspendues dans les églises n'ait pas fait l'objet d'un intérêt plus grand [3].

La publication des actes du colloque est attendue pour la fin de l'année. Par ailleurs, une équipe de la Maison des Sciences de l'homme et un groupe du Zentrum für Kunst und Medientechnologie préparent deux versions filmées de l'évènement qui vont être diffusés sur internet d'ici trois mois. Pour consulter le détail du programme du colloque, il suffit de se rendre sur : http://solaris.hfg-karlsruhe.de/hfg/inhalt/de/Hochschule/veranstaltungen/5516.

Notes:

[1] Il s'agissait du deuxième volet d'une manifestation franco-allemande, dont le premier événement avait eu lieu les 21 et 22 novembre 2003, dans l'auditorium du Zentrum für Kunst und Medientechnologie (ZKM), Karlsruhe, Allemagne, sous le titre Corps et image. Techniques de l'image et réflexions sur l'image du XIIIe au XVe siècle.

[2] La définition bien connue du portrait de John Pope-Hennessy se trouve dans: The Portraits in the Renaissance, (The A. W. Mellon Lectures in the Fine Arts, 1963, Bolingen Series, XXXV, 12), New Jersey, Princeton University Press, 1963.

[3] Pour la question des effigies de cire, nous renvoyons aux Essais florentins d'Aby Warburg, traduit de l'allemand par S. Muller, présentation d'Evelyne Pinto, Paris, Klincksieck, 1990 et à l'ouvrage de Julius von Schlosser, Histoire du portrait en cire. Traduction d'Edouard Pommier, Paris, Macula, 1997. A propos de l'enjeu théorique des effigies de cire et de leur omission par la discipline de l'histoire de l'art, voir Georges Didi-Huberman, " Ressemblance mythifiée et ressemblance oubliée chez Vasari : la légende du portrait sur le vif ", Mélanges de l'Ecole française de Rome - Italie et Méditerranée, CVI, 1994, n° 2, p. 383-432. Egalement, Georges Didi-Huberman, " Viscosités et survivances. L'histoire de l'art à l'épreuve du matériau ", Critique, 1998, n° 611, p. 138-162.

Empfohlene Zitation:
Florence Chantoury: [Tagungsbericht zu:] Le portrait individuel (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris, 06.–07.02.2004). In: ArtHist.net, 04.03.2004. Letzter Zugriff 29.03.2024. <https://arthist.net/reviews/449>.

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