REV-CONF 29.03.2019

De B à X. Faire (l’histoire de) l’art depuis John Berger

Institut de hautes études en administration publique (IDHEAP), Université de Lausanne (UNIL) / Musée de l’Elysée, Lausanne, 11.–12.10.2018

Bericht von Julie Lang, UNIL
Redaktion: Marthje Sagewitz

De B à X. Faire (l’histoire de) l’art depuis John Berger - Colloque international organisé par l’Institut suisse pour l’étude de l’art (SIK-ISEA), le Musée de l’Élysée et l’Université de Berne.

Questionner des pratiques de l’histoire de l’art, penser la discipline et initier une réflexion méthodologique constitutive : telle est l’ambition de la proposition du colloque De B à X : faire de (l’histoire de) l’art depuis John Berger organisée par Sarah Burkhalter (SIK-ISEA), Noémie Etienne (Université de Berne) et Pascal Hufschmid (Musée de l’Elysée). En prenant pour référence son ouvrage From A to X. A Story in Letters (2008)[1], ce colloque a eu pour but d’interroger la discipline de manière prospective, non dogmatique : qu’est-ce que l’histoire de l’art au XXIe siècle, quelles sont ses méthodes, ses enjeux et ses acteurs?

John Berger, qui résida tout près de Genève pendant 50 ans, dans son rapport à l’histoire de l’art, offre une grille de lecture commune à l’ensemble des interventions de ce colloque. En soulevant et en développant des réflexions à partir de problématiques suggérées par l’œuvre de Berger, telles la matérialité de l’art, la dimension pratique et pragmatique du discours sur l’art, les implicites du monde muséal et charges iconoclastes de la critique sur l’art occidental, il s’agit de renouveler le regard sur la discipline. Ainsi, la période chronologique du colloque s’étend de la série d’émissions télévisées Ways of Seeing de Berger, dont le premier épisode est diffusé en 1970 sur la BBC, à des pratiques actuelles. «Pratiques» puisque ce colloque a été pensé en deux volets. Le premier, dédié à la question de la recherche d’un point de vue académique, s’articule autour de l’écriture de la discipline, tant par le geste théorique que par celui du dire. Le second est dévolu à l’importation, la traduction de ces discours dans le domaine muséal ou encore à leurs incarnations en diverses formes de monstrations publiques, la question du discours par et sur l’exposition émergeant alors comme cruciale. Pour ce faire, la parole a été donnée à des académicien·ne·s, des curateurs et curatrices ainsi qu’à des artistes, qui ont exploité différents formats plus ou moins performatifs.

Les interventions de Tom Overton, Ileana Parvu, Matthew Harle et Alain Boillat fonctionnent comme un incipit qui atteste de la singularité méthodologique de John Berger et montre comment elle permet une lecture critique de l’histoire de l’art. En effet, Berger utilise la discipline histoire de l’art pour en révéler la matérialité, démystifiant et démontrant par ce processus la construction du discours canonisé. En ce sens, c’est son utilisation performative de l’histoire de l’art qui lui permet de dégager une dimension réflexive sur le discours construit qui la constitue, notamment par l’image (statique ou en mouvement). C’est alors en confrontant la narration, le construit forgé à partir de points de vue situés qui forme l’histoire de l’art, à la matérialité des objets, sujets de ce récit, et à leurs contextes de production, qu’il en rend prégnant les limites.

À partir de cette démonstration, Claire Farago, Donald Preziosi, Tina Sherwll, Charlotte Kent, ouvrent des perspectives pour dépasser l’aspect «monolithique» (pour reprendre le terme de Preziosi) de la discipline. Pour ce faire, l’histoire de l’art se voit redéfinie par le prisme de la recherche et la pédagogie, à l’aune de nouveaux enjeux : décloisonnée, globalisée et numérique. La performance d’Anna Dezeuze et le Bureau des positions de l’École supérieure d’art et de design de Marseille, ainsi que la lecture de Katya Berger, inclues dans ce panel, participent à questionner les formats par lesquels s’écrit l’histoire de l’art.

À l’issue de cette première partie qui propose autant des méthodes qu’un constat — l’histoire de l’art canonisée est majoritairement une construction occidentale et située —, un deuxième volet est consacré au statut et au rôle des institutions culturelles. En assumant qu’elles sont tributaires, mais également coauteures d’un discours, par leurs missions de conservation, de création et de diffusion de contenu (expositions, imprimés, médiation culturelle), Same Mdluli, Khaled Hourani et Adam Jasper envisagent des thématiques et des stratégies permettant d’adopter une posture plus prospective. Sandra Kisters, Hannah Pröbsting, Aoife Rosenmeyer et Peter Schneemann envisagent la question en termes de réception et d’impact, mais aussi de reproduction et de re-enactment comme objets d’étude et pratiques de la discipline[2]. Ainsi, la responsabilité politique des institutions culturelles est directement questionnée tout comme leur nécessité d’être des lieux de réappropriation, de confrontation et de construction du sens.

La notion de réflexivité est au centre de ce colloque. La méthode utilisée notamment par Berger, revenir à la matérialité des objets et à leurs usages afin de rendre prégnant et mettre à mal les discours canonisés et narratifs tissés à partir d’eux (qui, appondus, forment l’histoire en général), est éprouvée. Les différentes interventions montrent qu’il existe des histoires de l’art (au pluriel) et qu’il est nécessaire de les visibiliser non seulement dans le cadre de la recherche académique, mais également en exposant publiquement ces processus que ce soit comme Berger par la télévision ou des structures muséales actuelles. Se dessine alors aussi en filigrane la question de la démocratisation de l’art, notamment par la mobilisation de supports de représentation/diffusion, pour et par tou·te·s. Ce colloque, forme d’état des lieux des questionnements actuels, soulève autant d’enjeux qu’il ouvre de nombreuses pistes.

Alors, en quoi est-ce que les différents panels déploient de nouveaux horizons pour la discipline? Puisque, «quand dire, c’est faire», les discours et les représentations produites participent à définir, mais aussi légitimer certaines pratiques et objets, à rendre visible, mais aussi invisible, à inclure et à exclure. En ce sens, l’écriture de l’histoire de l’art est tout à fait politique, dimension centrale à mesurer pour la jeune chercheuse que je suis. La question postcoloniale a été un fil rouge entre les panels. En résulte qu’il ne suffit pas d’intégrer cette perspective, un point de vue décentré ponctuel, puisqu’historiquement la structure même de la discipline repose sur des modes d’exclusion, d’invisibilisation. Développer de nouvelles manières de voir et rendre visible, oui. Mais l’histoire de l’art doit s’engager dans un processus épistémologique de fond pour ouvrir de nouvelles zones d’attention, et pour inclure de nouveaux acteurs et surtout déconstruire une évidence du regard traditionnel, comme le proposait déjà John Berger. Au-delà de relire l’histoire de l’art, d’inclure de nouveaux thèmes, c’est une déconstruction collective dans le faire, en tant que pratique qui est essentielle. Comme le propose Renate Lorenz dans son livre Art Queer. Une théorie du freak (2018)[3], il s’agit alors de déconstruire de formes de chronologies pour rendre prégnantes de nouvelles connections, pour ouvrir de nouvelles associations et surtout inclure de nouveaux acteurs pour en parler. Autrement dit, abandonner l’idée que l’histoire de l’art est une entité autonome et la penser comme un domaine défini par l’entrecroisement de champs, pour construire un récit idéalement inclusif, mais déjà moins exclusif de l’histoire de l’art.

[1] John Berger, From A to X. A Story in Letters, London/ New York: Verso, 2008.
[2] Les interventions de Sharon Sliwinski « A gift for John » et de Louisa Lee « Reading conceptual Art History » ne sont pas citées dans ce compte rendu en raison d’un chevauchement de programme et d’une annulation de dernière minute.
[3] Renate Lorenz, Art Queer. Une théorie du freak, Paris: B42, 2018.

Empfohlene Zitation:
Julie Lang: [Tagungsbericht zu:] De B à X. Faire (l’histoire de) l’art depuis John Berger (Institut de hautes études en administration publique (IDHEAP), Université de Lausanne (UNIL) / Musée de l’Elysée, Lausanne, 11.–12.10.2018). In: ArtHist.net, 29.03.2019. Letzter Zugriff 29.03.2024. <https://arthist.net/reviews/20491>.

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