XIIe journée de la jeune recherche en sculpture. Modernités sculpturales : le rôle des techniques et des matériaux (19e-21e siècles).
Paris, musée Rodin, auditorium Léonce Bénédite et retransmission en ligne en direct.
Sous la direction de Sébastien Clerbois, professeur en histoire de l’art contemporain à l’Université libre de Bruxelles, et de Chloé Ariot, conservatrice du patrimoine, chargée de la collection des sculptures au musée Rodin
Dans les Curiosités esthétiques du Salon de 1846, Charles Baudelaire écrivait : « L’harmonie est la base de la théorie de la couleur. La mélodie est l’unité dans la couleur, ou la couleur générale. La mélodie veut une conclusion ; c’est un ensemble où tous les effets concourent à un effet général […] La bonne manière de savoir si un tableau est mélodieux est de le regarder d’assez loin pour n’en rien comprendre, ni le sujet, ni les lignes ».
Sur la base de la comparaison musicale, la pensée esthétique du poète opère ou justifie un bouleversement profond dans l’ordre du visuel classique, ouvrant la porte aux modernités artistiques. En somme, à rebours de l’historia antique et de la storia classique, l’art n’est désormais plus pensé comme un support à la narration, mais bien comme un pur jeu d’expression, ou d’effet.
Ce mouvement n’est, en réalité, guère original dans l’histoire de l’art. Avant le 19e siècle, le Maniérisme ou la peinture du 18e siècle avaient déjà valorisé la peinture pure, s. Mais à partir de la deuxième partie du 19e siècle, le mouvement prend des allures révolutionnaires. Là où le passé cherchait l’équilibre, la modernité contemporaine dynamite les codes académiques de l’image classique, libérant les composantes expressives de l’œuvre.
Mais qu’en est-il en sculpture ?
L’histoire de l’art, dont le narratif est souvent adossé à l’histoire de la peinture, a longtemps peiné à y percevoir ce phénomène, avant de pointer les dispositifs, souvent techniques – nouvel usage de la fonte à la cire perdue, rejet de la hiérarchie des matériaux, retour à la taille directe, valorisation des esquisses, etc. – perçus comme marqueurs de la modernité sculpturale.
Ce mouvement semble prendre d’autant plus de force que, dans les arts sculptés, l’industrialisation, croissante au 19e siècle, augmente les possibilités de reproduction des œuvres, au détriment de ce que certains perçoivent comme l’aura, désignant le caractère unique de l’œuvre d’art, faite d’une expression singulière ou d’une force expressive que recherchent les artistes modernes puis, d’avant-garde.
À l’ombre du célèbre article de Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique et de sa notion d’aura, une partie de l’historiographie a largement essentialisé le rapport de la modernité sculpturale à la technique, oubliant au passage que le texte de Benjamin est plus un manifeste d’avant-garde qu’un texte à portée philosophique et que, quoi qu’on en dise, la sculpture est et reste un art de la reproduction, et donc du multiple. C’est l’image d’un Rodin détournant les opérations techniques de reproduction par moulage au profit d’un usage signifiant de la composition par fragments – le marcottage –, ou celle d’un Jef Lambeaux, héraut de la technique de la cire perdue utilisée pour retrouver la touche expressive des baroques flamands, oubliant que l’expressivité est davantage le résultat d’une fonte dire « brute », c’est-à-dire non ciselée, que de celui de l’usage même de la cire perdue.
Le moment est venu, sans doute, de se réapproprier cette question : quels liens entre les matériaux et les techniques de la sculpture et l’expression des modernités artistiques ? En quoi les approches techniques ou matérielles, de la part des sculpteurs, ont pu être constitutives d’une définition de la modernité, ou en quoi ces approches contribuent-elles à forger un discours sur la modernité artistique ? Quelle est la part des choses entre investissement réel et discours sur la technique ? Comment les artistes ont-ils réellement investi de nouvelles techniques ou détourné d’anciennes pour exprimer la modernité ? Mais aussi : en quoi la technicité a -t-elle pu être utilisée par les artistes pour servir le discours – vrai ou faux – destiné à alimenter, dans les représentations collectives, les perceptions modernes de leur œuvre ?
Avec l’avant-garde, les effets de rupture augmentent rapidement. Les techniques et les matériaux industriels – soudure, béton coulé, acier Corten, etc. – inondent le champ des possibles. Quel(s) sens donner à ces nouvelles réalités matérielles ?
Dans la perspective diachronique de l’évolution de la sculpture à l’époque contemporaine (19e-21e siècles), la journée de recherche tentera de faire le point sur les dialogues signifiants entre l’usage singulier des matériaux et techniques et la constitution de la modernité sculptée.
Elle privilégiera les axes suivants :
- Mutations du statut de l’esquisse ;
- Choix de techniques ou matériaux particuliers ;
- Recherche et innovation technique ;
- Place de la matérialité dans le discours sur l’œuvre ;
- Investissement symbolique d’un matériau ou d’une technique ;
- Rejet de la technicité, retour à la taille directe, aux matériaux pauvres ;
- Mécanisation.
Propositions
Les propositions de participation devront comprendre un titre, un résumé (entre 1 500 et 2 000 signes) et une brève notice biographique (entre 500 et 1 000 signes). Elles sont à adresser avant le 7 février 2025 à l’adresse colloquesmusee-rodin.fr
Comité scientifique et organisation
- Sébastien Clerbois, professeur en histoire de l’art contemporain à l’Université libre de Bruxelles
- Amélie Simier, conservatrice générale du patrimoine, directrice du musée Rodin
- Chloé Ariot, conservatrice du patrimoine, chargée de la collection des sculptures au musée Rodin
- Véronique Mattiussi, cheffe du service de la Recherche, musée Rodin
- Franck Joubin, documentaliste chargé des colloques, musée Rodin
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12th symposium for young researchers in sculpture
Sculptural modernities: the role of techniques and materials (19th-21st centuries)
Friday, April 4, 2025
Paris, Rodin Museum, Léonce Bénédite auditorium
This event will be webcast live
Headed by Sébastien Clerbois, professor in contemporary art history at the Université libre de Bruxelles, and Chloé Ariot, heritage curator, in charge of the sculpture collection at the Musée Rodin
In his Curiosités esthétiques from the Salon of 1846, Charles Baudelaire wrote: “Harmony is foundational to color theory. Melody is unity in color, or general color. Melody wants a conclusion; it is a whole in which all the effects contribute to a general effect [...] The best way to know if a painting is melodious is to look at it from far enough away to understand nothing of it, neither the subject, nor the lines”.
Drawing upon this musical comparison, the poet’s aesthetic vision both enacts or legitimizes a profound upheaval within the order of classical visual traditions, casting open the gates to future artistic modernities. In short, contrary to the antique historia and the classical storia, art is no longer conceived as a mere vessel for narrative but emerges instead as a pure play of expression and effect.
This shift, however, is far from unprecedented in the annals of art history. Prior to the 19th century, Mannerism and 18th-century painting had already championed the virtues of pure painting. Yet, from the mid-19th century onward, this movement takes on revolutionary dimensions. Where the past strove for balance and harmony, contemporary modernity shatters the academic codes of the classical image, unleashing the expressive forces of the artwork.
But what about sculpture?
Art history, whose narrative is so often anchored to the history of painting, has long struggled to discern this phenomenon. It was only later that certain mechanisms—frequently technical in nature—were identified as indicators of sculptural modernity: the novel use of lost-wax bronze casting, the dismissal of material hierarchies, the revival of direct carving, the valorization of sketches, and more.
This movement seems to gain even greater strength as industrialization, burgeoning throughout the 19th century, expands the possibilities for sculpted works to be reproduced. However, this comes at the expense of what some regard as the aura of the artwork: its unique essence, shaped by an irreducible singularity or an expressive intensity. These are precisely the qualities that modern, and later avant-garde, artists increasingly were seeking.
In the shadow of Walter Benjamin’s renowned essay, The Work of Art in the Age of Mechanical Reproduction, and its concept of the aura, a significant portion of art historiography has heavily essentialized the relationship between sculptural modernity and technique. In doing so, it has often overlooked the fact that Benjamin’s text is more of an avant-garde manifesto than a philosophical treatise, and that regardless of how it is considered, sculpture remains, at its core, an art of reproduction—and thus, an art of multiplicity. One can consider, for instance, Rodin, subverting the technical processes of reproduction through casting in favor of a significant practice of fragmentary composition—marcottage. One can also consider Jef Lambeaux, harbinger of the lost-wax casting technique that was used to recapture the expressive vitality of the Flemish Baroque. In both cases, we are reminded that expressiveness is more a result of a so-called “raw” unchiselled casting than a product of the lost-wax method itself.
The time has surely come to reclaim this question: what are the connections between the materials and techniques of sculpture and the expression of artistic modernities? How have sculptors' technical or material approaches shaped the very definition of modernity, or contributed to the creation of a discourse around artistic modernity? What kind of balance can there be between genuine technical innovation and the discourse around technique? How have artists truly embraced new methods or repurposed traditional ones to express modernity? Furthermore: how has technicity been used by artists to serve a narrative—truthful or not—crafted to foster modern perceptions of their work within collective representations?
The avant-garde movement was punctuated with disruptions that intensified at a rapid pace. Industrial techniques and materials—welding, poured concrete, Corten steel, and more—flooded the realm of possibilities. What meanings can be attributed to these new material realities?
From the diachronic perspective of sculpture’s evolution in the modern and contemporary eras (19th to 21st centuries), this research symposium will seek to take stock of the meaningful connections between the distinctive use of materials and techniques and the construction of sculptural modernity. It shall be articulated along the following lines of inquiry:
- The mutational status of sketches
- Choice of particular techniques or materials
- Technical innovation and research
- The role of materiality within the discourse on artworks
- Symbolic investment in a material or technique
- Dismissal of technicity, return to direct carving, to humble materials
- Mechanization
Submissions
Submissions should include a title, an abstract (between 1,500 and 2,000 characters) and a brief biographical note (between 500 and 1,000 characters). They should be sent before February 7, 2025 to colloquesmusee-rodin.fr.
Research committee
- Sébastien Clerbois, Professor in contemporary art history at the Université libre de Bruxelles
- Amélie Simier, Chief Curator of Cultural Heritage, Director, musée Rodin
- Chloé Ariot, Heritage Curator, in charge of the sculpture collection at the Musée Rodin
- Véronique Mattiussi, Head of the Research Department, musée Rodin
- Franck Joubin, Researcher and Conference Coordinator, musée Rodin
Reference:
CFP: Modernités sculpturales (Paris, 4 Apr 25). In: ArtHist.net, Jan 15, 2025 (accessed Jan 18, 2025), <https://arthist.net/archive/43705>.