CFP Nov 24, 2014

Beauté idéologique (Lyon, 7 May 15)

Ecole Normale Supérieure de Lyon, May 07, 2015
Deadline: Jan 5, 2015

Jerome Bazin

Beauté idéologique. La part du beau dans les oeuvres de propagande

Depuis le XVIIIe siècle, la propagande se donne explicitement comme but
de réformer le regard des hommes sur le monde en changeant les cadres de
pensée qui le rendent intelligible, ce afin de les conduire à agir. La
forme de la propagande a donc systématiquement fait l'objet d'une
réflexion poussée afin de s'assurer de son efficacité : loin d'être la
simple présentation attrayante du message, elle participe pleinement à
celui-ci, en visant deux buts essentiels à la conversion des esprits, la
pédagogie et la séduction. L'œuvre de propagande doit permettre de
saisir facilement et pleinement le message, mais elle doit en même temps
attirer à lui des personnes a priori indifférentes, et ne pas rebuter,
par une présentation inesthétique, ceux qui sont par ailleurs
sympathiques aux idées qu'elle présente. Or les deux visées ne se
rejoignent pas complètement : la pédagogie exige une intelligibilité
complète alors que la séduction consiste à offrir une matière enrichie,
embellie, voire émouvante du message, qui s'en trouve complexifié.

C'est dans ce cadre que se pose la question de la beauté, une
interrogation qui ressurgit régulièrement, que ce soit du côté de la
production, de la réception ou encore de la diffusion de ces images.
Chez ceux qui réalisent les images, l'objectif de pédagogie s'accompagne
en effet souvent d'une exigence esthétique. Pour le Mexicain David
Siqueiros, le but suprême de l'art est de « créer la beauté pour tous,
la beauté qui éclaire les esprits et pousse à la lutte », comme il
l'exprime dans son manifeste de 1922. Chez ceux qui sont chargés de
diffuser les œuvres, la même question apparaît. Par exemple, les œuvres
primées par le Premio Cremona, concours artistique créé en Italie en
1939 pour encourager les talents fascistes émergents, ne sont pas
toujours aussi bien relayées qu'elles étaient supposées l'être, car
certains dignitaires du régime mussolinien sont peu convaincus par leurs
qualités plastiques, malgré un contenu politique irréprochable. Chez
ceux qui regardent les images, la question est également soulevée.
Ainsi, dans l'Allemagne de l'Est de 1950, face à une affiche qui leur
déplaît et qu'ils prennent soin de décrire, des syndicalistes écrivent :
« nous ne voudrions pas nous attarder sur la réalisation technique, nous
sommes de simples profanes, mais notre sens de la beauté
(Schönheitsgefühl) a été blessé par la grossièreté des traits, qui sont
particulièrement mal dessinés ».

D'où le questionnement au cœur de cette journée : pourquoi et comment la
catégorie du beau est-elle mobilisée lors des activités de propagande ?
Il s'agit de réfléchir aux manières dont l'articulation entre propagande
et beauté a été posée dans différents régimes et différents contextes
idéologiques, culturels et sociaux. C'est le point de vue des acteurs
impliqués qui nous intéresse : il ne s'agit pas d'aborder la question,
peu pertinente à notre avis, de savoir si telle œuvre de propagande est
belle ou pas, mais de comprendre comment, par qui et pourquoi de tels
jugements ont pu être formulés.


De cette interrogation première découle une série de questionnements qui
seront autant de pistes abordées au cours de la journée.

Ainsi nous voulons interroger les conditions précises de formulation des
jugements, identifier le plus précisément possible les acteurs en
présence et éclairer les contextes d'énonciation. C'est la parole en
situation que nous voulons saisir. Dans la plupart des régimes ici
évoqués, parler des œuvres à contenu politique et de leurs qualités
plastiques n'est pas sans risque. Les discussions s'ouvrent et se
referment selon les contraintes politiques. Il est donc essentiel de
connaître le cadre dans lequel les arguments sont énoncés.

S'intéresser à la part du beau est également une manière d'attirer
l'attention sur la réalité des images, trop souvent analysées du seul
point de vue documentaire ou sémiotique, et sur les regards qui ont été
portés sur elles. Être à l'écoute des arguments sur ce sujet nous
conduit à nous rapprocher du regard, qu'il s'agisse du regard expert du
connaisseur d'art dans un musée, du regard aléatoire d'un groupe amené
dans une exposition itinérante, du regard furtif de la foule passant
devant des affiches placardées sur les murs, du regard distrait du
lecteur qui ouvre un journal et y trouve une image. Quand ils évoquent
la beauté des œuvres, les acteurs parlent de ce qui retient leur
attention, de ce qui capte le regard, de leur façon d'entrer dans une
image, de leur sensibilité à telle forme ou à telle couleur, de ce
qu'ils ont l'habitude de voir, de leurs attentes.

Ce questionnement permet en outre de repenser dans une perspective
historique la frontière entre art et propagande, frontière qui est très
présente dans les esprits aujourd'hui et qui l'a aussi été dans le
passé. En lisant les archives, l'historien est en effet sans cesse
confronté à la distinction ; même dans les régimes qui ont célébré la
propagande comme l'URSS ou l'Allemagne nazie, une hiérarchie subsistait,
qui mettait l'art au-dessus de la propagande. La façon dont ces deux
entités sont définies et mises en rapport évoluent selon les périodes et
les contextes. Les discours sur le beau sont un moyen d'observer la
construction de cette distinction. Quelle porosité observe-t-on dans les
discours esthétiques entre ce qui est constitué comme art et ce qui est
pensé comme propagande ?

Enfin, s'intéresser à ces problèmes, c'est aussi reposer la question
d'une catégorie trop souvent éludée pour l'histoire de l'art du
vingtième siècle : la beauté. Dans un récit centré sur les avant-gardes
et néo-avant-gardes, le mot de beauté apparaît désuet, inopportun pour
rendre compte d'objets et de pratiques artistiques qui s'en seraient
délivrés. Le terme, comme les nombreuses discussions philosophiques qui
l'ont accompagné, appartiendrait au passé. Mais, d'une part, l'histoire
de l'art du vingtième siècle est plus large que la simple histoire des
avant-gardes et, d'autre part, même au sein des avant-gardes, la notion
mériterait d'être réévaluée. Partir d'objets au statut complexe comme le
sont les œuvres de propagande permettrait d'ouvrir un pan de ce
chantier.

C'est donc cette part du beau dans les images de propagande que nous
voulons interroger, dans une perspective d'histoire et d'histoire de
l'art. Le but de cette journée d'étude n'est pas d'offrir un panorama
supplémentaire des activités de propagande au vingtième siècle, ni de
réhabiliter des œuvres mais de reconstituer les arguments et
interrogations formulés à ce sujet par ceux qui réalisent des œuvres de
propagande, par ceux qui l'organisent ou encore, quand les archives le
permettent, par ceux qui les reçoivent. Car la propagande, alors qu'elle
se présente comme sûre d'elle-même, est traversée de doutes,
d'hésitations, de débats, y compris dans des régimes politiques où
l'échange d'idées est surveillé. L'image, par nature équivoque, peut
servir de révélateur à ces tergiversations.

La journée se tiendra à l'Ecole Normale Supérieure-Lyon le 7 mai 2015 et
prendra la forme de tables rondes. Elles est organisée par Marie
Frétigny (ens-lyon), Jérôme Bazin (université de Paris-Est Créteil) et
Séverine Antigone Marin et Alexandre Sumpf (université de Strasbourg).
Les propositions (de maximum 500 mots) sont à envoyer à
bazin.jeromewanadoo.fr et marie.fretignygmail.com avant le 5 janvier
2015. Les papiers des interventions seront à envoyer pour le 15 avril
2015.

Reference:
CFP: Beauté idéologique (Lyon, 7 May 15). In: ArtHist.net, Nov 24, 2014 (accessed Apr 17, 2024), <https://arthist.net/archive/8978>.

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