CFP 02.05.2024

ESPACE art actuel, n° 139 (Dossier: Blockchain : après les protocoles)

Montréal, Canada
Eingabeschluss : 31.05.2024

André-Louis Paré

[English version below]

ESPACE art actuel, n° 139 (Hiver 2025), Dossier: Blockchain : après les protocoles.

En 2023, le Centre Pompidou a acquis un ensemble d’œuvres qui explore le lien entre blockchain et création artistique. Relevant pour la plupart du net art, ces nouvelles acquisitions reposent sur des protocoles de connexion au réseau Internet. Elles s’inscrivent dans le sillage d’une histoire du protocole (ou du certificat) liée à l’art conceptuel et minimal, selon les commissaires Marcella Lista et Philippe Bettinelli. Elles ont d’ailleurs été exposées aux côtés d’œuvres historiques, telles que le Chéquier (1959) d’Yves Klein, qui certifie céder à l’acquéreur «un volume de sensibilité picturale immatérielle et transférable».

Le développement accéléré des technologies de chaîne de bloc (blockchain) à partir de 2008 a ouvert la voie à de nouveaux protocoles d’échange et de création dans les mondes de l’art. La technologie blockchain repose sur des protocoles de validation de blocs d’information, qui s’enchaînent les uns aux autres pour former un registre comptable sécurisé et partagé. Ce dossier porte sur l’appropriation de la blockchain dans le domaine de la création artistique. Il vise plus particulièrement à mettre en lumière comment la blockchain façonne des protocoles de création, des protocoles économiques et des protocoles de gouvernance. Mais au-delà du formalisme des protocoles, le dossier s'intéresse à ce qui déborde du cadre procédural et mécanique.

Utilisant cette technologie comme médium de création, l'artiste canadien Dmitri Cherniak crée des œuvres d'art génératives inscrites sur la blockchain. Il développe des protocoles conceptuels où les œuvres sont produites automatiquement par un algorithme, suivant des instructions prédéfinies. En 2023, la maison de vente Sotheby's a lancé une plateforme dédiée aux arts génératifs sur la blockchain. Son lancement rendait hommage à Vera Molnár, une pionnière hongroise de l'art numérique et de l’art algorithmique, célèbre pour ses œuvres géométriques abstraites. Après le succès retentissant de ses ventes de NFT en 2021, l'initiative de Sotheby's parie sur l’intérêt des crypto-investisseurs pour le collectionnement de NFT, malgré l’effondrement brutal de ce marché à la fin de la pandémie.

L'utilisation de la blockchain dans le marché de l'art a capté l’attention médiatique – et la critique d’une bonne partie du monde de l’art. Ce système marchand repose principalement sur un protocole de certification: la capacité d’un registre de chaîne de bloc à certifier l’unicité d’une œuvre (c’est le principe du NFT, ou jeton non-fongible) de manière à créer de la rareté dans l’infinie reproductibilité numérique. De plus, les contrats dits intelligents (smart contract), dont les clauses de cession des œuvres sont encodées directement dans la blockchain, facilitent l'échange et la monétisation des œuvres. Les protocoles de la blockchain ont ainsi ouvert un imaginaire pour repenser la certification de la valeur, la monnaie, les formes de propriété, la distribution du pouvoir et les circuits économiques dans les mondes de l’art.

De nombreuses initiatives récentes s’inspirent de la blockchain pour réimaginer les modes d’organisation dans le monde de l'art. Depuis 2015, la galerie londonienne Furtherfield se positionne en fer de lance pour expérimenter les protocoles de gouvernance issus de la blockchain. Croisant la critique institutionnelle et l’esprit des cultures du libre et de l’open source issus des débuts d’Internet, la galerie explore des modes alternatifs de financement et de cocréation dans l’écosystème des arts. Ces expérimentations ont abouti à la publication de l’ouvrage Radical Friends – Decentralised Autonomous Organisations and the Arts (2022). Dans le même esprit, lors de l’exposition documenta 15 (2022), le collectif palestinien Dayra a présenté le projet The Question of Funding, un prototype spéculatif de circuit économique detiné au milieu artistique de Gaza.

Un dernier ensemble de pratiques, davantage plastiques, s’inscrivent dans une mouvance post-internet, sous la forme d’œuvres installatives ou vidéo. Elles s’intéressent à la blockchain comme univers de représentations, comme matière pour explorer notre rapport à la technologie. Parmi les premiers à s’être saisis de ces enjeux, l’artiste Simon Denny a commissarié deux expositions: Proof of Work (2018) et Proof of Stake: Technological Claims (2021, avec Bettina Steinbrügge). Leur titre fait référence aux principaux protocoles de validation technique des blockchains pour en questionner les visions techno-émancipatrices. Mais la critique la plus incisive est venue de Hito Steyerl, dont la vidéo Animal Spirits (2022) étrille la toxicité des marchés cryptofinanciers et le caractère frauduleux des promesses techno-émancipatrices. Quant à Mika Rottenberg, sa vidéo Spaghetti Blockchain (2019) est empreinte d’un délicieux surréalisme social: l’œuvre figure un réseau blockchain fait de spaghettis connectés par des guimauves, des tuyaux mous, des gestes de travail mécaniques dans une chaîne de production absurde, une suite de réactions physiques dans des espaces cloisonnés mais interconnectés au sein d’un système complexe dont le sens nous échappe totalement.

Vera Molnár définissait son travail comme 99% d’ordre, et «1% de désordre». Ce dossier spécial s’intéresse au 1% de désordre qui persiste obstinément, au-delà de la formalisation abstraite et des mirages de l’automatisation associés à la blockchain: ce qui déborde des protocoles, les coincements, les décollements, l’impensé de l’automatisation, la fatigue procédurale, l’inconscient technologique, le contournement des procédures, le non-conforme, la matérialité et la difformité des réseaux, l’irruption de l’organique dans la machine, l’inopérable – le devenir-animal de la machine. Les pratiques analysées dans ce numéro peuvent concerner la création artistique utilisant la blockchain comme médium, les démarches plastiques qui se saisissent de l'univers de représentations de la blockchain, les expérimentations muséales et institutionnelles, les applications de la blockchain aux marchés de l’art, aux circuits ou à la gouvernance du secteur des arts. Il est attendu des propositions qu’elles explorent l’au-delà des protocoles de la blockchain pour éclairer, sous un angle esthétique et politique, les relations entre l’informel et la formalisation technique.

Si vous souhaitez contribuer à ce numéro thématique, nous vous invitons, dans un premier temps, à envoyer un courriel à la rédactrice adjointe: gcortoespaceartactuel.com avant le 31 mai 2024 afin de présenter une brève proposition (environ 250 mots).
Votre texte complet ne devra pas dépasser les 2000 mots, notes de bas de page non comprises, et nous sera soumis avant le 6 septembre 2024. Les honoraires sont de 65 $ CAD par feuillet de 250 mots.

Nous vous informerons rapidement si votre proposition est retenue.

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ESPACE art actuel, no. 139 (Winter 2025), Dossier: Blockchain : After Protocols.

In 2023 the Centre Pompidou acquired a group of works dealing with the relations between blockchain and artistic creation. Most of the works consist of Net Art, which relies on internet connectivity protocols. Curators Marcella Lista and Philippe Bettinelli situate them within a lineage of protocols (and certificates) in conceptual art and minimalism. The acquisitions were exhibited alongside historical works such as Yves Klein’s Chéquier (1959), which certifies the assignment of “a quantity of painterly sensibility, immaterial and transferable.”

Since 2008, the rapid development of blockchain technology has paved the way for new protocols for exchange and creation in the art world. Blockchain technology uses validation protocols to authenticate blocks of information that link together to create a shared, encrypted ledger. This dossier will focus on artistic appropriations of the blockchain, with particular attention paid to blockchain protocols for creation, economics, and governance. But beyond the formalism of protocols, the dossier focuses on aspects that transcend procedural and mechanical frameworks.

Canadian artist Dmitri Cherniak uses this technology as a creative medium to make generative art registered on the blockchain. He devises conceptual protocols, creating algorithms that execute predefined instructions to automatically generate works. In 2023 Sotheby’s auction house debuted its platform for on-chain generative art. The launch paid tribute to Hungarian artist Vera Molnár, a pioneer of digital and algorithmic art, renowned for her abstract geometric works. Given the massive success of NFT sales in 2021, Sotheby’s is betting on crypto investors’ continued interest in collecting NFTs, despite the market’s collapse post-pandemic.

Use of the blockchain in the art market has attracted media attention as well as frequent criticism from within the art world. As a selling system, blockchain largely relies on the certification protocols of blockchain ledgers: the registration and authentication of a work’s uniqueness (the underlying principle of NFTs, which stands for non-fungible tokens) creates an instance of rarity in an infinity of digital reproducibility. Transfer provisions in “smart contracts” are also directly encoded in the blockchain, making it easier to monetize and exchange the works. Blockchain protocols are revealing new ways to conceive of value certification, currency, types of property, power distribution, and financial systems in the art world.

Several recent initiatives have looked to blockchain to re-imagine organizational modes in the art world. At the forefront since 2015, Furtherfield Gallery in London (UK) has been testing blockchain-inspired governance protocols. The gallery combines institutional critique with early internet culture’s ideal of free and open-source software to envision new templates for finance and co-creation in the arts ecosystem. The results of their experiments were published in the book Radical Friends – Decentralised Autonomous Organisations and the Arts (2022). The Palestinian collective Dayra, working in a similar mode, presented The Question of Funding, a speculative prototype of a financial system for Gaza’s arts community, at Documenta 15 (2022).

Another set of practices, more closely related to Post-Internet Art, takes the form of installation or video works. These works engage with blockchain as a realm of representation and a means to explore our relationship with technology. Among the first to embrace these issues, the artist Simon Denny curated the two exhibitions Proof of Work (2018) and, with Bettina Steinbrügge, Proof of Stake: Technological Claims (2021). The exhibitions’ titles borrow from blockchain technical validation protocols, questioning the technology’s emancipatory potential. Hito Steyerl’s video Animal Spirits (2022) is especially damning in its critique of cryptofinance markets’ toxicity and the illusory nature of an emancipatory technology. Mika Rottenberg’s video Spaghetti Blockchain (2019) serves up social surrealism with a blockchain network made of marshmallow-soldered raw spaghetti, gelatinous cylinders, and mechanical handiwork on an absurdist assembly line, forming a sequence of physical reactions in partitioned but interconnected spaces within an intricate system, the meaning of which is anyone’s guess.

Vera Molnár defined her work as 99% order and “1% of disorder.” This special dossier involves the tenacious 1% that escapes the abstract formalizations and dreams of automation associated with the blockchain. We are interested in things that defy protocol; overflows; jammings; ungluings; the unthinkingness of automation; procedural fatigue; the technological unconscious; circumventions of procedure; noncompliance; the materiality and deformity of networks and media; the irruption of the organic in the machine; the inoperable — the becoming-animal of the machine. Practices analyzed in this issue may include blockchain as a medium for artistic creation; artworks that appropriate blockchain’s realm of representation; experimental museum and institutional practices; and blockchain applications in the art market or in arts governance. Proposals should extend beyond blockchain protocols, incorporating aesthetic and political perspectives to elucidate relations between realms of the informal and technological formalization.

To contribute to this themed issue, please start by emailing the assistant editor: gcortoespaceartactuel.com before May 31, 2024 with a brief proposal (around 250 words). Your full text should be no more than 2000 words long, not including footnotes, and must be submitted before September 6, 2024. Honorariums are $65 CAD per 250-word page.

We will respond quickly if your proposal is accepted.

Quellennachweis:
CFP: ESPACE art actuel, n° 139 (Dossier: Blockchain : après les protocoles). In: ArtHist.net, 02.05.2024. Letzter Zugriff 17.05.2024. <https://arthist.net/archive/41789>.

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