Une idée reçue, assez répandue, tend parfois à réduire à leur « œil » les historiens de l’art, tout entiers tournés vers la définition de styles et de formes, et détachés des réalités historiques de leurs objets d’étude. Une autre vision communément partagée donne un rôle de plus en plus important à la recherche fondée sur les technologies de pointe, qui paraissent pouvoir en dire toujours plus sur les œuvres, et mobilisent pour cela l’attention des médias comme du grand public. Sans s’opposer à ces deux outils d’analyse, le numéro 95 de la revue Histoire de l’art sera consacré à une troisième voie, complémentaire des précédentes et l’un des fondements de la discipline : le document d’archives mis au service de la connaissance des œuvres. Ce faisant, la revue et son comité de rédaction souhaitent mettre en évidence les pratiques et les méthodes de l’histoire de l’art.
Les historiens de l’art sont bien, en effet, comme leur nom l’indique, aussi des historiens qui, s’ils travaillent sur des supports figurés ou construits, n’en demeurent pas moins des « faiseurs » de l’Histoire : ils s’appliquent à « faire parler » les œuvres qu’ils étudient, en les confrontant autant que possible à un contexte, aux conditions du milieu qui les ont vues naître et donc aux sources d’archives à disposition, plus ou moins directes et nombreuses selon les époques concernées, et quelle que soit leur nature. Cette histoire de l’art « historienne » s’ancre dans une longue tradition historiographique et les divers répertoires publiés de sources attestent bien cette pratique. Toutefois, à l’heure où les archives sont de plus en plus numérisées, où les langues anciennes et la paléographie ne sont guère en vogue dans les universités, où le contact avec le document matériel ne va plus de soi, quel avenir est-il possible de construire pour renouveler la recherche archivistique en histoire de l’art, pour souligner son intérêt et sa pertinence auprès des chercheurs comme des publics ?
On tentera ici de dresser à la fois un bilan et une mise à jour méthodologique sur l’usage des archives au sein de la discipline histoire de l’art. Les archives s’entendent dans toute leur diversité, du moment qu’elles apportent un éclairage sur l’œuvre : tout type de documents en deux dimensions (manuscrits, graphiques, photographiques, etc.), mais aussi possiblement un moulage, qui pourrait par exemple montrer un état perdu d’une sculpture ou d’une partie de monument. Les archives orales et audiovisuelles peuvent également être considérées dès lors qu’elles sont de première main. Confrontées à l’œuvre, aux autres sources disponibles et aux résultats obtenus par l’analyse formelle, stylistique et technique, il s’agit d’éclairer ce qu’apportent précisément ces archives à la connaissance des œuvres, au-delà des traditionnelles, mais néanmoins centrales, questions de datation et d’attribution. Pour les œuvres les plus anciennes, pour lesquelles textes et archives manquent souvent, la question peut être posée de leur statut quand, à leur tour, elles deviennent « documents-sources » que l’historien de l’art s’emploie alors à décrypter comme tels. La disparition des archives, leur destruction, mais aussi les non-dits des documents, ne peuvent en effet être éludés dans une telle réflexion.
Les contributions pourront s’inscrire dans l’un des axes proposés ci-dessous, qui n’excluent pas d’autres approches :
– Recours / retour au document : les propositions pourront être centrées sur une démarche scientifique, notamment celle du retour aux sources, c’est-à-dire au document original afin de l’appréhender dans sa réalité matérielle et dans le contexte historique fourni par le fonds d’archives. Alors que les documents sont de plus en plus souvent accessibles en ligne grâce à des campagnes de numérisation, l’examen direct du document original reste irremplaçable. Il peut en effet révéler des détails mal visibles, voire invisibles sur la reproduction (grattage, tracés aveugles, trous de compas, tache, changement d’encre, etc.) et aider, le cas échéant, à une meilleure compréhension de l’œuvre en rapport. La numérisation des archives change-t-elle notre rapport au document lorsque celui-ci peut être agrandi, comparé, indexé… ?
– Archives de la création : la connaissance des œuvres par le biais des archives passe souvent par la question du processus créatif. À côté des archives historiques, comme les registres de comptes, les archives notariales ou même judiciaires, les fonds d’archives d’artistes, d’entreprises, de manufactures et d’ateliers constituent une mine de renseignements pour l’histoire de l’art. Les propositions pourront se concentrer sur ce type de documentation de première main que sont les divers états d’un projet, dessins ou plans, ou encore les recueils d’ornements et de motifs. Une attention particulière pourra être portée aux documents qui, par leur qualité, peuvent aussi être considérés comme des œuvres à part entière.
– Archives et vie de l’œuvre : documenter une œuvre, c’est aussi être attentif à sa vie matérielle à travers le temps ; les archives postérieures à sa création entrent alors en jeu, que ce soit à propos de transformations, de déplacements, de changements de destination, de propriétaire ou de statut, ou encore à propos de dommages et de restaurations. Comment la documentation archivistique permet-elle de nous informer sur la « biographie » de l’œuvre, ses vicissitudes et les modifications qu’elle a subies ? Par ailleurs, dans le champ de l’art contemporain, certaines œuvres « vivantes », comme les performances, n’existent plus que grâce à la documentation rassemblée : les méthodes de constitution et d’analyse de ces sources pourront faire l’objet de propositions.
– La fabrique de l’histoire de l’art : les fonds d’archives provenant d’historiens de l’art et d’archéologues, mais aussi de critiques d’art, font de plus en plus l’objet d’études dans le cadre d’une histoire de l’histoire de l’art en plein développement. L’Institut national d’histoire de l’art ou les Archives de la critique d’art à Rennes, notamment, en conservent des ensembles importants ; d’autres fonds constituent parfois un socle majeur pour certaines institutions, comme la Fondazione Roberto Longhi à Florence. Que révèlent ces fonds sur la façon dont le chercheur aborde l’investigation en archives, sur son usage des documents ? Qu’apportent-ils à la connaissance du regard porté sur l’œuvre d’art ?
Le numéro 95 sera coordonné par Denise Borlée (université de Strasbourg), Emmanuel Lamouche (université de Nantes) et Florian Meunier (musée du Louvre). La revue a pour rédactrice en chef Dominique de Font-Réaulx (musée du Louvre).
Les synopsis, comprenant une présentation du sujet problématisé (1 page), une bibliographie sommaire sur le sujet et une biographie de l’auteur (500 signes), sont à adresser sous forme de fichier PDF unique par courriel à l’adresse revueredachistoiredelartgmail.com pour le 17 juin 2024 au plus tard. Les propositions seront étudiées par le comité de rédaction.
Les projets retenus feront l’objet d’articles à remettre pour le 14 octobre 2024.
Reference:
CFP: Histoire de l'art, no. 95: Archives. In: ArtHist.net, Apr 4, 2024 (accessed Oct 15, 2024), <https://arthist.net/archive/41580>.