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ESPACE art actuel, n°128 (Printemps-Été 2021/Spring-Summer 2021): Climatologie/Climatology
La climatologie est une science plutôt récente. Parce qu’elle étudie les échanges énergétiques dans le système Terre-atmosphère, la climatologie est une discipline scientifique qui se déploie dans une perspective planétaire. Basée sur des modèles informatiques et des données provenant d’observations par satellites, elle a remplacé la « théorie des climats » qui depuis l’Antiquité rendait principalement compte de l’influence du phénomène climatique sur l’environnement naturel et le comportement animal, incluant celui des humains. Dans son traité de théorie politique intitulé De l’esprit des lois (1748), Montesquieu souligne en quoi le climat, comme phénomène de la nature, agit sur les mœurs et notre façon de vivre en société. Même si ce déterminisme climatique a été rejeté par la climatologie moderne, n’est-il pas temps de revoir à nouveau frais cette science naturelle en vue de pouvoir considérer, comme le propose Bruno Latour, « un nouveau régime climatique » ?
Alors qu’en Occident, les diverses conceptions du monde se sont le plus souvent développées en opposant la nature à la culture, le régime climatique appelle à une remise en question de ce dualisme (cf. Philippe Descola). Pour reprendre les mots de Michel Serres, il promeut un nouveau « contrat naturel », une nouvelle expérience du monde vivant, d’autant que depuis l’entrée de l’humanité dans cette ère géologique appelée Anthropocène, les actions humaines et l’impact du secteur industriel, notamment pétrolier, ont pris une expansion considérable. Ces changements sans précédents, également nourris par la surpopulation humaine et la pollution qui en découle, affectent le climat et contribuent au réchauffement de la planète. Dès lors l’influence du climat sur l’humain, comme le stipulait l’ancienne « théorie des climats », s’est peu à peu renversée en faveur d’une influence humaine sur celui-ci. Désormais, la climatologie contemporaine ne peut se définir par un discours basé uniquement sur les sciences telles la physique, la géologie et la chimie ; elle engage aussi de nouvelles postures qui ne sont pas sans répercussions dans les domaines philosophique, politique et artistique.
Pendant longtemps, l’histoire de l’art occidental a été conditionnée par la théorie de l’imitation de la nature, laquelle devait inspirer l’acte créateur. Cette vision esthétique misait essentiellement sur la représentation du monde ambiant, celle engendrée notamment par l’artialisation de la nature (cf. Montaigne) à partir de laquelle un pays devient paysage. Bien que l’attention des artistes pour le climat ne date pas d’aujourd’hui, à l’heure où le nouveau régime climatique opère une véritable mutation, que le paysage sort plus que jamais de son cadre pictural, de nouvelles jonctions entre le climat et l’art sont possibles, ouvrant sur de nouveaux espaces d’exploration et de création. Dans cette optique, plusieurs artistes tentent d’aborder les changements climatiques de façon globale. Ils et elles s’intéressent à cette nouvelle dimension où les sols, les océans, les glaciers et l’air invitent les humains à emprunter de nouvelles avenues suivant lesquelles le climat est pensé comme le phénomène des phénomènes, comme une « onto-climatologie » (cf. Peter Sloterdijk). Par conséquent, il n’est plus question de représenter la nature comme un environnement que nous devons maîtriser, mais de rendre compte de la situation limite dans laquelle nous évoluons sous les effets du réchauffement climatique.
Depuis la célèbre COP21, une rencontre internationale sur le climat tenue à Paris en 2015, de plus en plus d’artistes visent la prise de conscience publique face à ces enjeux d’ordre écologique. Au lieu de tomber dans le catastrophisme ou d’esthétiser le désastre, plusieurs artistes invitent à imaginer sinon des solutions, du moins des alternatives, ou encore une meilleure compréhension de la situation actuelle. Comment l’art peut-il alors être un vecteur de compréhension devant l’urgence ? Comment peut-il rendre compte des effets du réchauffement climatique sur la biodiversité, susciter des mises en garde face à l’appauvrissement des territoires ? Au lieu de s’en tenir à une communication du savoir scientifique, l’art dans sa dimension plastique, sonore, virtuelle, interdisciplinaire ou, plus largement, expérientielle, ne doit-il pas d’abord et surtout stimuler notre sensibilité, propager la réflexion, voire le débat ?
Parmi les enjeux à discuter, ne faudrait-il pas se préoccuper aussi des productions artistiques qui sont elles-mêmes énergivores ou polluantes ? Car, il importe de le mentionner, l’art et le climat ne font pas toujours bon ménage. Bien que des artistes sont de plus en plus sensibles à cet aspect en pratiquant l’éco-conception, d’autres – malgré les meilleures intentions du monde – élaborent des dispositifs qui impliquent au final une grande consommation d’énergie. Par ailleurs, comment les institutions de diffusion, en particulier les musées, sont-elles en mesure de répondre à cette urgence ? Comment peuvent-elles, notamment à travers leur programmation et des mesures logistiques éco-responsables, modifier nos perceptions et contribuer à transformer le point de vue des visiteurs ?
Ce dossier de la revue ESPACE art actuel vise à réunir des textes qui rendent compte, entre autres par des études de cas, de pratiques artistiques qui offrent des regards aiguisés sur le climat. Si vous souhaitez participer à ce dossier, nous vous invitons, dans un premier temps, à contacter avant le 15 novembre 2020 la direction de la revue par courriel (alpareespaceartactuel.com) afin de présenter sommairement votre proposition. Très rapidement, nous vous informerons (d’ici le 20 novembre) si votre proposition est retenue. Votre texte, version complète, ne devrait pas dépasser les 2000 mots, notes incluses, et nous sera remis pour le 18 janvier 2021. Le cachet est de 65 $ par feuillet de 250 mots.
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Climatology is a rather recent science. Because it studies the energy exchanges in the Earth-atmosphere system, climatology is a scientific discipline that unfolds in a global perspective. Based on computer models and data from satellite observations, it has replaced the “climate theory” that had since ancient times accounted for the influence of the climate phenomenon on the natural environment and the behaviour of animals, including humans. In his treatise on political theory titled On The Spirit of Laws (1748), Montesquieu underscored that climate, as a natural phenomenon, affects our customs and our way of living in society. Even if this climatic determinism has been rejected by modern climatology, is it not time to reassess this natural science in order to be in a position to consider, as Bruno Latour proposes, “a new climate regime?”
While in the West these various conceptions of the world have for the most part been developed in terms of the nature culture divide, the climatic regime challenges this dualism (Philippe Descola). To borrow Michel Serres' words, it promotes a new “natural contract,” a new experience of the living world, especially since human activities and the impacts of the industrial sector, in particular oil, have greatly expanded with our entry into the new geological era called the Anthropocene. These unprecedented changes, also fuelled by human overpopulation and the resulting pollution, affect the climate and contribute to global warming. Since then, the climate's influence on humans, as was postulated by the ancient “climate theories,” has gradually been reversed in favour of a human influence on it. Henceforth, contemporary climatology can non longer define itself according to a discourse based solely on the sciences such as physics, geology and chemistry; it must now also include new approaches which will undoubtedly have repercussions in the field of philosophy, politics and art.
For a long time, Western art history has been determined by the theory of mimesis or the imitation of nature, which was supposed to be the inspiration for the creative act. This aesthetic vision was essentially founded on the representation of the surrounding world, notably the one that emerged from the artialisation of nature (Montaigne) according to which land becomes landscape. Even though artists' interest in the climate is not exactly recent, at a time when the new climatic regime is bringing about a real mutation, in which the landscape is going beyond the pictorial frame more than ever before, new articulations are now possible, thus opening original spaces for exploration and creation. In this perspective, several artists initially attempt to approach climate change in a global manner. They are interested in this new dimension in which the land, oceans, glaciers and air are calling on humans to travel down different paths along which the climate is conceived as the phenomenon of phenomena, as an “onto-climatology” (Peter Sloterdijk). As a result, it is no longer about representing nature as an environment that we must master, but about accounting for the limit situation in which we are advancing under the effects of global warming.
Since the famous COP21, an international forum on the climate held in Paris in 2015, a growing number of artists have sought to raise public awareness regarding ecological issues. Rather than succumbing to a catastrophic outlook or aesthesizing the disaster, several artists invite us to imagine, if not possible solutions, at least alternatives, or even a better understanding of the current situation. How can art then be a conveyor for a better comprehension in the face of the crisis? How can it account for the effects of climate change on biodiversity or warn us about the depletion of the earth? Rather than restricting itself to communicating scientific knowledge, must not art, in its sculptural, sound, virtual and interdisciplinary, or more broadly, experiential dimension first and foremost awaken our sensibility and foster reflection, even debate?
Among the issues to be discussed, should we not also address the artistic productions that are themselves energy intensive or a cause of pollution? Because, it must be said, art and the climate do not always get on well. Although many artists are increasingly mindful of this aspect and apply eco-friendly practices, others—despite the best intentions in the world—develop devices that end up consuming a lot of energy. Moreover, how can exhibiting institutions, in particular museums, respond to this urgent situation? How can they, notably through their programming and eco-responsible measures, modify our perception and contribute to transforming viewers' point of view?
This feature of ESPACE art actuel seeks to gather texts that focus on, among other things by way of case studies, artistic practices with incisive views on the climate. If you wish to submit an article, we invite you, as a first step, to email the editor of the magazine (alpareespaceartactuel.com) before November 15, 2020, in order to make a brief proposal pitch. We will inform you promptly (by November 15, 2020) if your proposal is selected. Your completed text should not exceed 2000 words, footnotes included, and will be submitted to us by January 18, 2021. The honorarium is $65 per page (250 words).
Reference:
CFP: ESPACE art actuel, n°128: Climatologie/Climatology. In: ArtHist.net, Oct 24, 2020 (accessed Dec 21, 2024), <https://arthist.net/archive/23784>.