CFP Oct 11, 2015

Homme sauvage, qui es-tu? (Toulouse, 6-7 Apr 16)

Université de Toulouse 2 – Jean Jaurès, Toulouse, France, Apr 6–07, 2016
Deadline: Nov 30, 2015

NOACCO Cristina, Université de Toulouse Jean Jaurès

Homme sauvage, qui es-tu? Éthique et esthétique d’une figure à la frontière des mondes

Appel à contribution

Journées d’études co-organisées par

Sophie DUHEM, FRAMESPA (Toulouse 2 – Jean Jaurès)
Cristina NOACCO, ELH/PLH (Toulouse 2 – Jean Jaurès)

Christine FERLAMPIN-ACHER, Rennes 2, CELLAM
(Centre d'étude des langues et littératures anciennes et modernes)
Bruno BOERNER, Rennes 2, HCA (Histoire et Critique des Arts)

La figure de l’homme sauvage est un archétype de l’imaginaire universel et n’a cessé d’être revisitée et renouvelée par l’iconographie et la littérature de tous les temps. Mais quels sont les termes que les textes ou les didascalies utilisent pour se référer à l’imaginaire de l’homme sauvage ? Quel langage visuel en a construit l’image ? Et à quoi le reconnaît-on? A son aspect physique? A ses actions? A son (manque de) langage?
La question de la définition et de la caractérisation de ce motif, qui a été ponctuellement abordée en littérature et en histoire de l’art, ne semble pas avoir fait l’objet d’une étude à la fois diachronique et transdisciplinaire.

Ces manifestations, organisées en partenariat par quatre laboratoires interuniversitaires (les laboratoires FRAMESPA et ELH/PLH de Toulouse 2 – Jean Jaurès et les laboratoires CELAM et HCA de Rennes 2), visent à cerner et à définir le motif de l’homme sauvage, ainsi qu’à retracer l’histoire et la complexité de sa représentation dans une perspective résolument diachronique et transdisciplinaire: l’étude du sujet sera envisagée non seulement à travers les approches littéraire et artistique, mais aussi sous ses aspects philosophique, historique, sociologique, anthropologique, voire psychologique et psychanalytique, sans oublier la transposition du motif à l’écran par l’art cinématographique.

La richesse de cette figure tient à l’évolution sémantique du terme et de l’idée du « sauvage », par rapport à une notion correspondante de « civilisation ». Chaque société a forgé son propre imaginaire de l’homme sauvage, en fonction du rôle philosophique et social qu’elle lui a attribué : expression de la force sauvage (Enkidu dans l’Épopée de Gilgamesh ou les berserkirs des sagas nordiques), double inquiétant de l’homme civilisé métamorphosé dans les récits de loup-garou, manifestation du diable ou de la peur de l’inconnu, qu’il dépasse par le comique et le grotesque, dans les rites folkloriques ou dans le déguisement carnavalesque, faire-valoir du chevalier qui le vainc au combat dans la littérature et l’iconographie du Moyen Âge, l’homme sauvage n’a jamais cessé de représenter un être à part, qui s’oppose à l’homme civilisé ou l’interroge. Cette opposition évidente semble le définir d’emblée a contrario : c’est celui qui n’a pas reçu d’éducation, qui a grandi d’après les lois de la nature.

Cependant, les concepts de nature et de culture, si fortement codés au Moyen Âge central, connaissent une évolution importante au fil des siècles : si les représentations du diable et de ses acolytes (monstres velus, hommes et femmes possédés, vampires, etc.) demeurent inquiétantes à l’époque moderne et dénoncent la présence du mal, ainsi que celle de l’instinct violent chez l’homme, l’utilisation du sauvage se fonde aussi sur une récupération positive et ambivalente du motif, ce que montrent l’art héraldique ou l’emblématique, les textes hagiographiques (où « l’état sauvage » conditionne la purification), les rites de passage avec déguisements qui entraînent un retour à l’état de nature, jusqu’au « bon sauvage » dont parle Jean-Jacques Rousseau ou la Bête que la Belle choisit d’aimer.

Dans une autre perspective d’étude, les représentations de l’homme sauvage peuvent montrer une tendance à l’humanisation (le bon sauvage de Rousseau, ainsi que Vendredi dans Robinson Crusoé de Daniel Defoe), à l’héroïsation (on songe à l’Hercule antique) ou vice-versa à l’animalisation (lycanthropie et métamorphose des figures de contes, représentations diaboliques). Et si l’homme sauvage suggère en premier lieu un brouillage des frontières entre l’homme et l’animal, il ne faut pas oublier qu’il existe également un homme des bois, épigone des figures mythiques de Cernunnos et de Sylvanus, intimement lié au monde de la forêt et au règne végétal (en témoignent le personnage de Puck et les elfes), et qui a alimenté le motif iconographique de l’homme vert. Enfin, le motif de l’homme sauvage a souvent été décliné au féminin, suivant une construction symbolique et un renouvellement sémantique du couple et de la famille qu’il convient d’interroger.

De l’Antiquité à la Modernité, l’homme sauvage pose à l’homme civilisé la question de sa nature et des limites de son acculturation et lui renvoie, par le miroir de la représentation, l’image de ce qu’il n’est pas ou une vérité ontologique à assimiler.

Ce projet de recherche fera suite à un séminaire prévu à Toulouse le 26 novembre prochain, qui permettra aux membres des laboratoires organisateurs de présenter l’état actuel de la recherche sur le sujet et de mener une première enquête linguistique sur les références à l’homme sauvage pour poser les jalons nécessaires à une définition du motif étudié.

Séminaire
Homme sauvage, qui es-tu?
Sur les traces d’une figure polymorphe

Dans le champ de la littérature, l’homme sauvage est tour à tour homo sylvestris, homo sylvanus ou homo diabolicus. La question de la détermination et de la distinction de ces variantes du motif est centrale pour comprendre les enjeux poétiques, politiques et éthiques que les auteurs ont attribués à la mise en scène de l’homme sauvage. Dans tous les cas, l’emploi littéraire de ce motif ne l’a pas réduit à un pur élément décoratif : les caractéristiques exotiques de cet homme « autre », qui semble venir d’« ailleurs » ou se référer à un « autrefois », le chargent d’une valeur morale qui nourrit la finalité d’écriture (pédagogique, idéologique ou religieuse) de l’écrivain.
Mais est-ce que la notion de ce que le lecteur peut percevoir comme un homme sauvage est la conséquence d’une description ou bien est-ce que l’appellation d’« homme sauvage » précède et justifie toute description ? Et qu’est-ce que cela désigne, pour un auteur de l’Antiquité, du Moyen Âge, des Lumières ou de l’avant ou de l’après-guerre, la formulation « homme sauvage » ? La définition de l’homme sauvage est non seulement le point de départ, mais aussi le point crucial de toute réflexion concernant la représentation littéraire, et plus largement artistique, sur le sujet étudié.

Dans les arts visuels, rarement suppléés par les textes, il renvoie l’image d’une créature protéiforme. Construite au fil des siècles, cette image s’est nourrie de codes fixés par des normes culturelles et artistiques variées. De fait, sont souvent désignés comme « hommes sauvages » des êtres aussi divers que les grands singes, les diables poilus, les figures d’Hercule, les atlantes ou tenants de blason, les ermites et ermitesses, les indiens cannibales, les monstres des confins, les personnages souffrant d’hirsutisme ou d’hypertrichose, etc.

Cette mosaïque de motifs interroge les critères d’identification de la créature, autant ceux de l’histoire de l’art contemporaine que ceux des sociétés passées. L’imaginaire du sauvage qui est le nôtre a-t-il quelque point commun avec celui du sculpteur de village du XIIIe siècle, celui du peintre académique du XVIIe siècle ou de l’ornemaniste des Lumières ? La diversité des attributs qui l’affublent dans l’art (pilosité inégalement répartie, vêtements et coiffes, armes et écus, objets, etc.), les référents culturels multiples (mythologiques, religieux, politiques), comme la grande variété des supports (peinture, sculpture, arts décoratifs, etc.) supposent de distinguer le « motif » du personnage individualisé, perçu comme figure mythique ou symbolique. Qu’ils appartiennent à l’une ou l’autre de ces deux catégories, les portraits du sauvage résultent aussi de transferts culturels et de phénomènes de juxtapositions et/ou d’altérations iconographiques, parfois artificiels, qui appellent l’examen attentif de ce que nous désignons, là encore, par l’expression « d’homme sauvage ». Une fois de plus, la question de la définition apparaît donc comme le noyau central d’une enquête portant sur les enjeux éthiques et esthétiques du motif artistique analysé.

La représentation de la figure de l’homme sauvage concerne en particulier les domaines littéraire et artistique. Partant d’une analyse croisée et diachronique des œuvres littéraires et des images produites par les arts visuels (qu’il s’agisse de gravures, sculptures, enluminures, peintures, film…) il sera intéressant d’examiner les corrélations – ou les divergences – entre les descriptions des sauvages qui apparaissent dans les textes, la terminologie qui les désigne et les constructions iconographiques qui se sont succédées. Une réflexion qui ne manquera pas d’être enrichie par une confrontation élargie à d’autres champs d’études.

La représentation contemporaine de la figure du sauvage, qu’elle soit le fruit de la littérature ou des arts, a été modelée par les discours disciplinaires élaborés depuis les Lumières ; un examen critique de l’historiographie pourrait éclairer différemment l’appréciation du personnage. Comment expliquer par exemple que le motif du « sauvage à la massue » soit surtout assimilé à la production artistique bas médiévale, alors qu’il a continué d’inspirer de nombreux artistes dans l’espace européen au cours de l’époque moderne ? Il faut identifier, parmi les partis-pris de l’historiographie (l’examen de certains corpus au détriment d’autres), les orientations qui ont conditionné au fil du temps notre regard, pour mieux les réévaluer. Cette approche participe aussi des réflexions sur la définition de la créature sauvage.
À tout cela pourra s’ajouter la réflexion sur la question de l’interprétation que l’on faisait du motif à partir des textes et des œuvres artistiques à l’époque de leur production, en comparant cette lecture avec celle d’une réception contemporaine du motif : qu’est-ce que, à l’époque post-industrielle, un homme sauvage ? Peut-on enfin supposer que l’interprétation contemporaine du motif soit influencée, voire déformée par l’historiographie ?

Les projets de communication pour les journées d’études prévues à Toulouse les 6 et 7 avril 2016 sont à envoyer aux organisatrices avant le 30 novembre 2015, accompagnés de quelques lignes de présentation :
Sophie DUHEM : sduhemwanadoo.fr
Cristina NOACCO : cnoaccoyahoo.fr

La parution des actes est prévue aux Presses Universitaires de Rennes.

Éléments de bibliographie

AUZÉPY Marie-France et CORNETTE Joël (dir.), Histoire du poil, Paris, Belin, 2011.
BALMAS Enea (dir.), Il buon selvaggio nella cultura francese ed europea del settecento, Florence, L. S. Olschki, 1981.
BARNIOL LÒPEZ Montserrat, « El culto a San Onofre en Cataluña durante los siglos XIV y XV », dans El culto a los santos. Cofradías, devocion, fiestas y arte, actes du congrès de l’Instituto escurialense de investigaciones historicas y artisticas (San Lorenzo de El Escorial, 2008), Madrid, Ediciones Escurialenses, 2008, p. 177-190.
BARTHOLEYNS Gil, DITTMAR Pierre-Olivier et JOLIVET Vincent, Image et transgression au Moyen Âge, Paris PUF, coll. « Lignes d’art », 2008.
BARTRA Roger, Wild Men in the Looking Glass. The Mythic Origins of European Otherness, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1994.
BASCHET Jérôme, Les justices de l’au-delà. Les représentations de l’enfer en France et en Italie (XIIe – XVe siècle), Rome/Paris, École française de Rome/De Boccard, 1993.
BERNHEIMER Richard, Wild Men in the Middle Ages, Harvard University Press, Cambridge, 1952 ; Octagon Books, New York, 1979.
BOIA Lucian, Entre l’ange et la bête. Le mythe de l’homme différent de l’Antiquité à nos jours, Paris, Plon, 1995.
BRETEL Paul, Les ermites et les moines dans la littérature française du Moyen Âge (1150-1250), Paris, Champion, 1995.
CAMILLE Michael, Images dans les marges. Aux limites de l’art médiéval, Paris, Gallimard, 1997.
CONNOCHIE-BOURGNE Chantal (dir.), La Chevelure dans la littérature et l’art du Moyen Âge, Sénéfiance, 50, 2004.
DESCOLA Philippe, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005.
DICKASON Olive Patricia, Le mythe du sauvage [1984], Paris, Éd. du Félin, 1995.
DUBOST Francis, Aspects fantastiques de la littérature narrative médiévale (XIIe-XIIIe siècles). L’Autre, l’Ailleurs, l’Autrefois, 2 t., Paris, Champion, 1991.
DUHEM Sophie, Les sablières sculptées en Bretagne. Images, ouvriers du bois, et culture paroissiale au temps de la prospérité bretonne (XVe-XVIIIe siècles), Rennes, PUR, 1997.
DUHEM Sophie-RONNÉ Hervé, A Bras le corps. Impudeurs et effronteries dans l’art religieux breton (XVe – XVIIIe siècles), Brest, Éd. Le Télégramme, 2012.
L’Eremistismo in Occidente nei secoli XII e XIII, actes de la seconde semaine internazionale d’études de Mendola (30 août – 6 sept. 1962); Milan, Vita e Pensiero, 1965.
FABRE Daniel, « Limites non frontières du sauvage », L’Homme, vol. CLXXV/CLXXVI, n° ¾, 2005, p. 427-443.
FABRY-TEHRANCHI Irène, « Le festin de l’homme sauvage dans la Suite Vulgate du Merlin et le Roman de Silence : attrait de la nurriture et mise en scène paradoxale de Merlin », Questes, 12, La Faim et l’appétit, 2007, p. 49-64.
FERLAMPIN-ACHER Christine, Fées, bestes et luitons. Croyances et merveilles dans les romans français en prose (XIIIe-XIVe siècles), Paris, PUPS, 2002.
FERLAMPIN-ACHER Christine, Merveilles et topique merveilleuse dans les romans médiévaux, Paris, Champion, 2003.
FRITZ Jean-Marie, Le discours du fou au Moyen Âge : XIIe – XIIIe siècles : étude comparée des discours littéraire, médical, juridique et théologique de la folie, Paris, PUF, 1992.
GAIGNEBET Claude et LAJOUX Jean-Dominique, Art profane et religion populaire au Mouyen Âge, Paris, PUF, 1985.
GUIZARD-DUCHAMP Fabrice, Les terres sauvages dans le monde franc (IVe-IXe siècle), Rennes, PUR, 2009.
HEERS Jacques, Fêtes de fous et carnavals, Paris, Fayard, 1983.
HUSBAND Timothy, The Wild Man. Medieval Myth and Symbolism (catalogue d'exposition), Metropolitan Museum of Art, 1980.
LE GOFF Jacques, Un Autre Moyen Âge, Paris, Gallimard, 1999.
LEGROS Huguette, La Folie dans la littérature médiévale. Étude des représentations de la folie dans la littérature des XIIe, XIIIe et XIVe siècles, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2013.
MARTIN Rebecca, Wild Men and Moors in the Castle of Love: The Castle-Siege Tapestries in Nuremberg, Vienna, and Boston, Chapel Hill/N. C., 1983.
NOACCO Cristina, « ‘Horribile visu ? Aspects narratifs de l’horreur dans l’œuvre de Chrétien de Troyes », in L’Horreur au Moyen Âge, Travaux du Groupe de Recherches « Lectures Médiévales » de Université de Toulouse II, Toulouse, Editions Universitaires du Sud, diffusion Honoré Champion, 1999, p. 127-143.
NOACCO Cristina, La métamorphose dans la littérature française des XIIe et XIIIe siècles, Rennes, PUR, coll. « Interférences », 2008.
Le Nu et le Vêtu au Moyen Âge (XIIe – XIIIe siècles), actes du XXVe Colloque du CUERMA, Sénéfiance, 47, 2001.
La Pelle umana, Micrologus, 13, Florence, Sismel, 2005.
PINTO Mathieu Élisabeth, Marie Madeleine dans la littérature du Moyen Âge, Paris, Beauchesne, 1997.
POUVREAU Florent, Du poil et de la bête. Iconographie du corps sauvage en Occident à la fin du Moyen Âge (XIIIe – XVIe siècle), s. l., CTHS, 2014.
SCHULTZ-GORA Oskar, « Der Wilde Mann in der provenzalischen Literatur », Zeitschrift für romanische Philologie, n. 4, 1924, p. 129-131.
TOGNI Roberto, « L’uomo selvatico nelle immagini artistiche e letterarie. Europa e arco alpino (secoli XII-XX) », Annali di S. Michele n°1, p. 88-154.
UELTSCHI Karin, La Mesnie Hellequin en conte et en rime. Mémoire mythique et poétique de la recomposition, Paris, Champion, 2008.
VAREILLE-DAHAN Claudie, L’homme sauvage dans le décor architectural en France, Thèse de doctorat, Université François-Rabelais de Tours, 2014, 2 vol.
WALTER Philippe, Mythologie chrétienne. Fêtes, rites et mythes du Moyen Âge [1992], 2e éd., Paris, Imago, 2003.
YAMAMOTO Dorothy, The Boundaries of the Human in Medieval Imagination, Oxford, 2000.

Reference:
CFP: Homme sauvage, qui es-tu? (Toulouse, 6-7 Apr 16). In: ArtHist.net, Oct 11, 2015 (accessed May 6, 2025), <https://arthist.net/archive/11210>.

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