CFP 07.10.2021

Espace art actuel, Dossier : Voix/Voices

Montréal (Canada)
Eingabeschluss : 29.10.2021

André-Louis Paré

[English follows]

ESPACE art actuel no 131. Dossier : Voix/Voices

Dans son texte intitulé Der Erzähler (1936), traduit en français par « Le conteur », ou « Le narrateur », le philosophe Walter Benjamin (1892-1940) avance une thèse étonnante à propos de l’expérience et de la sagesse. S’appuyant sur l’œuvre de Nicolaï Leskov (1831-1895), un conteur russe, Benjamin propose que « l’art de conter est en train de se perdre ». Il se perd parce que « la faculté d’échanger des expériences », de transmettre par la voix une sagesse, est de moins en moins communicable. À ses dires, ce qui nuit à la tradition orale, à l’art de raconter des histoires, c’est d’abord l’apparition du roman, mais aussi, les « progrès de l’information ». Écrit en Allemagne, au début de la Seconde Guerre mondiale, alors que l’usage de la voix, amplifiée par les microphones, devient un instrument inouï capable de galvaniser une masse d’individus, Benjamin est conscient que l’oralité, comme « forme artisanale de la communication », doit aussi trouver un nouveau souffle. Auteur du texte L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique (1935), il est sensible à l’apport nouveau que propulsent, du point de vue de la production et de la réception, la photographie et le cinéma dans le déploiement des images. Mais qu’en est-il de l’art de conter des histoires ? Qu’en est-il de la création artistique faisant usage de la voix ?
Contemporain des mouvements d’avant-gardes, notamment le dadaïsme et le futurisme, Benjamin est sensible à leur volonté de résister au système mercantile de la production artistique. Difficilement « exposable » ou « collectionnable », la voix comme œuvre déjoue de par sa singularité formelle les pièges du néolibéralisme, voire du langage lui-même. Nombre de ces artistes vont d’ailleurs utiliser la voix pour déconstruire le langage sensé, contourner le phonocentrisme. En s’intéressant au cri, au bruit, à la poésie sonore, elles et ils ont manifesté, comme le fameux Ursonate de Kurt Schwitters, un vif intérêt pour la matérialité de la voix. Et celle-ci avait beau être mise au service des « détritus verbaux », cette déconstruction de la voix résonnait comme une sorte de rituel, un envoutement rythmé par les consonnes et les voyelles. Aussi, même si ces divers procédés d’art sonore s’éloignent de la voix dans sa capacité de transmettre une histoire, subsistent en eux le désir d’explorer, au-delà du discours informatif, l’importance de l’oralité comme origine culturelle de l’humanité.
Tout au cours du 20e et du 21e siècle, l’utilisation de la voix au sein des arts visuels ne s’est pas démentie. Faisant fi des conventions disciplinaires, certaines pratiques en art contemporain exploreront la voix au sein de performances artistiques hybrides. Plus récemment, l’essor et la légitimité politique des « cultures du témoignage » – où les pratiques testimoniales se font le levier d’interventions sociales – réitère l’actualité et la pertinence de l’acte du récit formulé à la première personne. Plusieurs exemples nous viennent à l’esprit, mais retenons pour le moment le poème chorégraphié for coloured girls who have considered suicide / when the rainbow is enuf (1975), de Ntozake Shange (1948-2018), une série de monologues à sept voix où autant de femmes afro-descendantes témoignent tout en dansant du racisme et des violences subies, mais aussi d’espoir de futurs meilleurs. Cette idée d’une voix subjective et incarnée dans une chair sensible s’inscrit dès lors en porte-à-faux de celle portée par le « génie artistique » théoriquement objectif et désincarné, l’apanage de l’homme blanc occidental. La voix devient matière sculpturale au sein d’installations sonores où elle se fait bien sûr audible, explicite. D’autres critiquent plus spécifiquement sa nécessaire complicité avec le langage (et tout le bagage historique qui l’accompagne) au sein de sculptures qui en dénoncent les conventions et les limites, comme c’est le cas de l’œuvre Hearing Voices (2002) de Mona Hatoum. La voix incarne une dimension sociale primordiale favorisant l’écoute, l’attention à la parole, aux autres, aux sonorités, qui rassemble et émeut. Les pratiques de l’oralité mises de l’avant par nombre d’artistes autochtones viennent aujourd’hui encore réaffirmer la pertinence épistémologique et artistique de ce médium, à la fois un véhicule de savoirs ancestraux et une méthodologie engageante garante du dialogue.
Ce n°131 de la revue ESPACE souhaite rendre compte, à travers des analyses théoriques associées à des études de cas, de pratiques artistiques récentes (2000 à aujourd’hui), dont la voix humaine (ou pas) – parlée, déclamée, chantée – est au cœur de l’expérience esthétique. Ce dossier tentera surtout de mettre en valeur diverses œuvres où les poétiques des voix sont transmises à partir des dispositifs de monstration inscrites dans un parcours d’art actuel. Alors que l’usage de la voix est omniprésent au sein des télécommunications, ce dossier aimerait souligner à partir de diverses perspectives ethno-culturelles l’importance de la vocalité dans sa dimension artistique. Une attention spéciale sera faite sur la tradition orale mise à l’honneur au sein de pratiques artistiques actuelles. Il pourrait s’agir de la voix chantée, de la voix qui transmet une sensibilité propice aux émotions; il pourrait s’agir de la voix déclamée, celle qui revendique et donne un sens à des gestes posés; il pourrait s’agir de voix marginalisées, celles des cultures minoritaires, peu propices à se faire entendre ou dont la voix est appropriée, instrumentalisée. Ces différentes perspectives stimulent l’importance de la place de l’auditoire dans le processus esthétique, elles le sollicitent dans l’accomplissement de l’œuvre vocale. Dès lors ce dossier souhaite accorder une place à la communication d’expériences et de connaissances qui ont tendance à être ignorées et qu’il importe aujourd’hui de conserver pour le futur de la pluralité des voix.

Si vous souhaitez participer à ce dossier, nous vous invitons, dans un premier temps, à contacter avant le 29 octobre 2021 la direction de la revue par courriel (alpareespaceartactuel.com) afin de présenter sommairement votre proposition (250 mots environ). Très rapidement, nous vous informerons si votre proposition est retenue. Votre texte, version complète, ne devrait pas dépasser les 2000 mots, notes exclues, et nous sera remis pour le 17 janvier 2022. Le cachet est de 65 $ par feuillet de 250 mots.
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In his text titled Der Erzähler (1936), translated into English as “The Storyteller,” the philosopher Walter Benjamin (1892-1940) puts forward a surprising thesis about experience and wisdom. Based on the work of Nicolaï Leskov (1831-95), a Russian storyteller, Benjamin proposes that “the art of storytelling is coming to an end.” It is being lost because “the ability to exchange experiences,” to convey wisdom through the voice, is less and less communicable. According to him, what undermines the oral tradition, the art of storytelling, is first of all the appearance of the novel, but also, the “progress of information.” Written in Germany, at the beginning of the Second World War, when the use of the voice, amplified by microphones, became an unprecedented instrument capable of galvanizing the masses, Benjamin was aware that orality, as “an artisan form of communication,” must also be revitalized. The author of the text The Work of Art in the Age of Mechanical Reproduction (1935) is sensitive to the new manner in which photography and film brought about a new acceleration in the deployment of images, both in regards to their production and reception. But what about the art of storytelling? What about artistic creation that makes use of the voice?
A contemporary of avant-garde movements, in particular Dadaism and Futurism, Benjamin sympathizes with their endeavours to resist the mercantile system of artistic production. The voice-based work of art is difficult to “exhibit” or “collect” and, due to its formal singularity, it eludes the traps of neoliberalism, even of language itself. Many of these avant-garde artists used the voice to deconstruct meaning-bearing language and circumvent phonocentrism. By turning their attention to the scream, noise and sound poetry, they expressed, as in Kurt Schwitters’ famous Ursonate, a keen interest for the materiality of the voice. Even though it had to be put in the service of “the waste product of language,” this deconstruction of the voice resonated like a kind of ritual, a rhythmic bewitchment driven by consonants and vowels. Moreover, even if these various sound art processes move away from the voice in its storytelling capacity, they sustain a desire to explore the importance of orality, beyond informative discourse, as a cultural origin of humanity.
Throughout the 20th and 21st centuries, the use of the voice in the visual arts has continued unabated. Setting aside disciplinary conventions, some contemporary art practices have explored the voice in hybrid art performances. More recently, the rise and political legitimacy of “testimonial cultures”—in which testimonial practices become a lever of social interventions—reiterates the currentness and relevance of first-person narratives. Though several examples spring to mind, one of the most notable may be the “choreopoem” for coloured girls who have considered suicide / when the rainbow is enuf (1975), by Ntozake Shange (1948-2018). The work consists of a series of monologues in seven voices in which seven African-American women testify, all the while dancing, about the racism and violence they have suffered, but also about the hope for a better future. This idea of a subjective voice embodied in living flesh is thus out of step with the notion of a theoretically objective and disembodied “artistic Genius”, a prerogative of the Western white man. The voice becomes sculptural matter in sound installations where it is of course audible and explicit. Other artists more specifically criticize its necessary complicity with language (and all the historical baggage that accompanies it) through sculptures that denounce its conventions and limits, as is the case in Mona Hatoum’s work Hearing Voices (2002). The voice embodies a primordial social dimension favouring listening and attention to speech, to others, to sounds, that brings people together and move them. The oral practices put forward by a number of Indigenous artists reaffirm the epistemological and artistic relevance of this medium, both as a vehicle of ancestral knowledge and as an engaging methodology that guarantees dialogue.
By way of theoretical analyses linked to case studies of recent artistic practices (2000 to today), the no. 131 edition of ESPACE magazine wishes to account for practices in which the human voice (or else)—spoken, declaimed, sung— is at the core of the aesthetic experience. This thematic issue will primarily seek to highlight various works in which a poetics of voices is transmitted by way of display apparatuses rooted in a contemporary art approach. Though the use of the voice is ubiquitous in the telecommunications sphere, this thematic issue would like to mobilize different ethno-cultural perspectives to underline the importance of vocality in its artistic dimension. Special attention will be paid to the oral tradition foregrounded in current art practices. This could be about the sung voice, the voice that transmits a sensibility conducive to emotions; it could be about marginalized voices, those of minority cultures, who struggle to make themselves heard or whose voice has been appropriated and exploited. These various perspectives boost the importance of the audience in the aesthetic process, since its participation is called upon to complete the vocal work. In this thematic issue we open the door to accounts of experiences and forms of knowledge that are often not acknowledged and the conservation of which is now a pressing matter to ensure a plurality of voices in the future.

If you wish to contribute to this thematic issue, we invite you, as a first step, to email the editor of the magazine (alpareespaceartactuel.com) before October 29, 2021, in order to make a brief proposal pitch (250 words). We will inform you promptly if your proposal is selected. Your completed text should not exceed 2000 words, footnotes excluded, and will be submitted to us by January 17, 2022. The honorarium is $65 per page (250 words).

Quellennachweis:
CFP: Espace art actuel, Dossier : Voix/Voices. In: ArtHist.net, 07.10.2021. Letzter Zugriff 19.04.2024. <https://arthist.net/archive/34999>.

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