REV 27.10.2012

Gia Toussaint: Kreuz und Knochen. Reliquien zur Zeit der Kreuzzüge

Rezensiert von Philippe Cordez, Kunsthistorisches Institut in Florenz, Max-Planck-Institut
Redaktion: Carolin Behrmann
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Gia Toussaint: Kreuz und Knochen. Reliquien zur Zeit der Kreuzzüge, Berlin: Reimer Verlag, 2011, 288 S., ISBN 978-3-496-01431-7, 49 €.

Reviewed by Philippe Cordez

La prise de Jérusalem aux Arabes en 1099 et surtout celle de Constantinople aux Byzantins en 1204 furent pour les croisés l’occasion de s’approprier de nombreuses reliques, lesquelles revinrent bientôt à diverses églises de France, d’Allemagne et d’Italie. Sous un titre un peu large, ce livre issu d’une habilitation étudie les implications de ces évènements sur l’évolution de la présentation des reliques dans les reliquaires en Occident. À Byzance, les reliques étaient fréquemment sorties de leurs coffrets et montrées, les ossements eux-mêmes étant ornés et identifiés par des applications métalliques. Chez les Latins avant les croisades, les reliques n’étaient jamais directement visibles hors des circonstances exceptionnelles d’une vérification ou d’un transfert, et normalement enfermées dans une «double enveloppe»: la première constituée de textiles précieux, dont les coutures étaient tournées vers l’intérieur, et la seconde représentée par le reliquaire proprement dit – ce dispositif reproduisant celui du cadavre enfermé dans un linceul puis déposé dans une tombe. Même dans les premiers reliquaires de cristal de roche, le regard ne portait d’abord pas sur les reliques elles-mêmes, mais sur leurs emballages textiles. Ces distinctions appuyées sur une observation soignée des objets concernés précisent et nuancent le travail de C. L. Diedrichs [1], qui traitait de la visibilité des reliques sans considérer la perspective orientale.

L’un des moments majeurs de la conquête de 1099 fut la réinvention de la Croix à Jérusalem, malgré des récits plus anciens selon lesquels elle aurait été transportée à Constantinople au VIIe siècle lors de la conquête arabe. Si les reliques de la Croix, sur lesquelles l’empereur byzantin avait longtemps exercé un monopole, avaient été rares jusque-là en Occident, leur diffusion facilitée et intensifiée à partir de Jérusalem au cours du XIIe siècle appela de nouvelles pratiques de légitimation : ainsi l’expression «Vraie Croix» (vera crux), désignant alors pour la première fois un reste matériel ; la forme de la croix à double traverse, qui signalait une origine byzantine et fut donnée à un groupe de reliquaires confectionnés à Jérusalem même [2]; la visibilité directe du bois de la croix dans le reliquaire, également adoptée pour des croix gemmées réalisées en Occident; enfin le commentaire de l’histoire de la relique par des images, notamment émaillées, parfois au sein de triptyques. L’auteur suit ici de près l’ouvrage de H. A. Klein sur les reliques de la croix à Byzance et en Occident, sans le remplacer [3]. Curieusement, le reliquaire de cristal provenant de l’église Saint-Jean-Baptiste de l’ordre des Hospitaliers à Jérusalem, sans doute réalisé sur place vers 1155-1160 et qui entrerait parfaitement dans le propos du livre, n’est pas mentionné [4].

Les reliques plus nombreuses encore qui rejoignirent l’Occident après la prise de Constantinople en 1204 furent également présentées dans des reliquaires où elles étaient visibles, ce qui était neuf, mais non amovibles comme en Orient: les institutions ecclésiastiques occidentales tenaient ainsi compte de la proximité inédite avec les reliques dont les croisés avaient fait l’expérience en Orient, tout en affirmant leur propre autorité sur ces objets. Classiquement, l’auteur met en rapport ce type de dispositif avec une prescription du concile de Latran de 1215, qui interdisait d’exposer les anciennes reliques hors de leurs châsses dans le but d’en obtenir un gain financier (ut antique reliquie amodo extra capsam nullatenus ostendantur nex exponantur uenales). Mais on peut douter que ce passage ait eu une conséquence sur la forme des reliquaires, et ce n’était pas en tous cas son but premier : il portait avant tout sur la pratique des quêtes itinérantes avec des reliques [5], extra capsam devant se référer à des reliquaires fixes dans les églises et uenales paraissant désigner le recueil d’aumônes plutôt qu’une vente, comme on l’affirme souvent, laquelle exigerait plutôt le secret qu’une exposition publique. Ceci ne saurait d’ailleurs concerner les reliques de Constantinople, nouvellement acquises et non « anciennes » au sens du texte. La majeure partie du butin de Constantinople est perdue, mais la cathédrale de Halberstadt conserve des reliques constantinopolitaines de la croix et de divers saints qui furent montées visiblement dans deux bras reliquaires [6] et dans un «tableau» qui a pu être un autel portatif, lesquels montrent que l’on s’employa à créer des reliquaires exhibant les reliques orientales en tant que telles, comme des trophées, et correspondant en même temps à des types occidentaux traditionnels. Il en va de même pour la réception artistique de la grande staurothèque byzantine aujourd’hui à Limburg an der Lahn.

Le livre s’achève sur plusieurs dossiers postérieurs, considérés dans la continuité des innovations liées aux croisades et rassemblés sous l’expression de «proximité de la sainteté » (das nahe Heilige). Ceci évoque la « proximité de la grâce» (nahe Gnade) dont Berndt Hamm, non cité, qualifie de façon générale les supports de dévotion de la fin du Moyen Âge [7], et pose finalement le problème de la portée des résultats de l’enquête. L’auteure explique bien que sa recherche s’inscrit au terme d’une tradition historiographique remontant à l’Allemagne des années 1930, lorsque le mouvement de renouveau liturgique identifia une «dévotion visuelle» gothique (Schaufrömmigkeit) qui fut présentée comme une perversion individualiste de la piété collective romane, avant que l’histoire de l’art n’y voie au contraire, dans les décennies suivantes, un moment de libération, voire de subversion. L’expression a surtout permis de qualifier une série de phénomènes apparemment convergents, tels le rite de l’élévation de l’hostie ou une nouvelle attention naturaliste, mais elle échoue finalement à en fournir une véritable explication. Devant cette difficulté, G. Toussaint s’attache à une question spécifique, la précise, et y répond par un ouvrage de synthèse soigné dans sa facture, de lecture aisée et enrichi d’un index, qui rendra service aux historiens des croisades, des reliques et du regard.

[1] Christof L. Diedrichs: Vom Glauben zum Sehen. Die Sichtbarkeit der Reliquie im Reliquiar. Ein Beitrag zur Geschichte des Sehens, Berlin 2001.
[2] Aux onze croix connues, il faut en ajouter une douzième conservée à Rome au Campo Santo Teutonico : cf. Frühchristliche Kunst aus Rom, cat. exp. Essen, Villa Hügel, Essen-Bredeney 1962, 195, no 404. Je remercie Michael Brandt qui a attiré mon attention sur cet objet, et Hartmut Kühne pour la référence.
[3] Holger A. Klein: Byzanz, der Westen und das „wahre“ Kreuz. Die Geschichte einer Reliquie und ihrer künstlerischen Fassung in Byzanz und im Abendland, Wiesbaden 2004.
[4] Cf. Jaroslav Folda: The art of the crusaders in the Holy Land. 1098-1187, Cambridge 1995, 296-299.
[5] Cf. Nicholas Vincent: « Some Pardoners’ Tales: The Earliest English Indulgences ». In: Transactions of the Royal Historical Society, 12, 2002, 23-58, ici 50-55.
[6] L’auteure ne discute pas l’hypothèse récente de l’intégration du bras de saint Étienne dans un dispositif scénique incluant un autre objet rapporté de Constantinople : cf. Christian Hecht: « Diskos („Weihbrotschale” bzw. Patene) und vier steinewerfenden Juden ». In: Harald Meller, Ingo Mundt, Boje E. Hans Schmuhl (dir.): Der Heilige Schatz im Dom zu Halberstadt, Ratisbonne 2008, 90-93.
[7] Cf. par exemple Berndt Hamm: « Die Nähe des Heiligen im ausgehenden Mittelalter: ars moriendi, Totenmemoria, Gregorsmesse ». In: Id., Klaus Herbers, Heidrun Stein-Kecks (dir.): Sakralität zwischen Antike und Neuzeit, Stuttgart 2007, 185-221

Toussaint, Gia: Kreuz und Knochen. Reliquien zur Zeit der Kreuzzüge, Berlin: Dietrich Reimer Verlag 2011
ISBN-13: 978-3-496-01431-7, 288 S., ca. EUR 49.00

Empfohlene Zitation:
Philippe Cordez: [Rezension zu:] Toussaint, Gia: Kreuz und Knochen. Reliquien zur Zeit der Kreuzzüge, Berlin 2011. In: ArtHist.net, 27.10.2012. Letzter Zugriff 19.04.2024. <https://arthist.net/reviews/4085>.

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